C’est l’histoire d’une actrice, longtemps femme-enfant comme on le disait à la fin du XXe siècle, qui, au cours des premiers mois de 2024, s’est muée du jour au lendemain en guerrière contre ceux qui l’avaient utilisée et agressée, avant de devenir icône du combat contre les violences sexuelles. Que s’est-il passé pour que Judith Godrèche, qui avait quitté la France et les écrans depuis de nombreuses années, sorte soudain de son silence, aimantant journalistes, politiques et surtout ces milliers de femmes victimes comme elle d’hommes prédateurs ? La colère. L’indignation. Le trop, c’est trop. Il y a d’abord eu le succès de sa série, Icon of French Cinema, une autofiction pleine d’autodérision qui lui a sans doute redonné confiance en elle. Il a suffi ensuite d’une vidéo postée sur X dans laquelle le réalisateur Benoît Jacquot – avec qui elle a vécu dès l’âge de 15 ans – s’exprime sur cette relation de façon abjecte pour que Judith Godrèche cesse de trembler. Et l’ouvre. Conseillée par différentes femmes, agressées elles aussi dans le passé par des hommes assurés de leur impunité, parmi lesquelles Hélène Devynck, qui fédère les victimes de PPDA.
C’est ça que raconte notre enquête, ce long processus qui a conduit l’actrice à se révéler figure de proue du mouvement #MeToo dans le cinéma. Cette métamorphose ne s’est sans doute pas faite sans casse, elle a laissé des zones d’ombre que nous tentons d’éclaircir. Mais à tous ceux et peut-être aussi toutes celles qui murmurent leur ras-le-bol de ce déchaînement de haine contre des hommes vieillissants soudain cloués au pilori, il faut expliquer que les abus des hommes de pouvoir sur des jeunes filles ou des femmes sans défense – il ne se passe pas de semaine sans que de nouveaux exemples émergent – ont été tels, année après année et dans la plus parfaite indifférence si ce n’est approbation de la société, qu’il est normal que le balancier soit entraîné dans l’autre sens. Il faut que ça sorte. Un jour il reviendra à l’équilibre et l’on repensera avec émotion à ces femmes qui l’ont forcé à bouger.