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Libération
L'édito de Dov Alfon

Contre l’extrême droite, faire barrage, une obligation morale

Le cynisme avec lequel le président de la République a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale après avoir emprunté des termes à l’extrême droite ne doit pas détourner de l’impérieuse nécessité de tout faire pour empêcher le RN d’accéder au pouvoir.
A Lorient, le 13 juin 2024. (Emmanuelle Pays/Hans Lucas pour Libération)
publié le 5 juillet 2024 à 20h46

C’est une catastrophe qui n’a rien de naturelle, et elle risque de s’abattre sur la France ce dimanche, bouleversant notre système de gouvernance et détruisant notre équilibre social, ébranlant des équilibres politiques, effaçant tout repère moral et plantant solidement au centre du pouvoir un monstre que l’on croyait terrassé.

La décision puérile et défaitiste d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale laisse un leader incontesté à la veille de ce second tour des élections législatives, le Rassemblement national. Tous nos reportages sur le terrain, tous les sondages publiés, toutes les enquêtes sociologiques le démontrent encore et encore, le parti mené par Jordan Bardella attire le plus grand nombre d’intentions de vote sur le territoire, et bénéficie de l’électorat le plus confiant et le plus déterminé à aller voter et à ne pas changer d’avis dans les quarante-huit heures à venir.

Pire, l’écrasant score attendu du RN lui donnerait un avantage certain dans la possibilité de gouverner par d’éventuelles défections de députés au sein de la droite classique, et pourrait même lui octroyer la majorité absolue. Libération a publié ces derniers jours une enquête en quatre volets sur les futurs députés de ce parti, avec des révélations sur des dizaines de candidats racistes, homophobes, antisémites ou sombres crétins.

Nostalgie vichyssoise et horreurs en tout genre

Chacune de nos publications a été suivie par de vagues excuses de la part des responsables du RN ou, souvent, par des dénégations confuses, en particulier dans les débats télévisés. Même tancé sur les révélations de Libé par le Premier ministre Gabriel Attal, Jordan Bardella s’est bien gardé d’aborder le sujet de front, préférant nier l’évidence : même après des années de «dédiabolisation» déclarée, le RN est un mouvement où se développent loin des caméras xénophobie, haine de l’autre, nostalgie vichyssoise et horreurs en tout genre.

Et comment pourrait-il en être autrement ? Depuis son premier reportage dans les fiefs du Front national, en avril 1974 («Après les Juifs, c’est le tour des Arabes», annonçait le titre, d’ailleurs toujours d’actualité), notre journal n’a cessé de documenter la progression des idées réactionnaires de l’extrême droite française, et en particulier son aptitude à convaincre qu’elle n’est pas si extrême. L’ardeur de cette négation a eu pour effet de retourner l’accusation : alors que plus de 80 candidats RN assument des positions considérées il n’y a pas si longtemps comme ignobles, aujourd’hui, c’est le qualificatif «extrême droite» qui en vient à être remis en cause.

Cette fumisterie s’est mise en place avec la complicité de philosophes de plateau, de journalistes complaisants, de polémistes sur les réseaux sociaux et d’un président de la République qui jouera jusqu’au bout avec le feu, recadrant sa Première ministre – fille de rescapé de la Shoah – pour avoir utilisé des arguments «moraux» contre le RN : «On ne combat pas l’extrême droite avec les mots des années 90», lui a expliqué Emmanuel Macron, parsemant lui-même son discours présidentiel de termes immoraux empruntés à l’extrême droite : «immigrationniste», «décivilisation» ou encore «droit-de-l’hommisme».

L’extrême droite attend son heure de gloire

Dans ce climat politique où un funeste aveuglement se couple à un cynisme pitoyable, il est forcément difficile, pour un électeur à sensibilité de gauche, de voter pour un candidat de la majorité présidentielle pour contrer la possible élection d’un député RN. Pourquoi le nier, «faire barrage» à chaque élection équivaut pour nombre de nos lecteurs à se réveiller chaque Noël sans jamais trouver de cadeau sous le sapin.

A cela s’ajoute une nonchalance de la dernière ligne droite, quand beaucoup cherchent à se rassurer sur la base de sondages prouvés maintes fois illusoires. De là à préférer rester chez soi ce dimanche, il y a un pas qu’il est pourtant interdit de franchir. Car quelles que soient les excuses que l’on se donne, quels que soient les arguments moraux que l’on se prête, l’extrême droite attend son heure de gloire dès dimanche soir, prête à réaliser un programme politique bâti presque exclusivement sur la chasse au bouc émissaire, sur la stigmatisation de catégories entières de la population et sur la restriction de nos libertés. En clair : le péril est bien là, clair et imminent. Il ne peut être relativisé. Il ne peut être accepté.

Pour Libération, le barrage à ce déversement de haine est une obligation morale, n’en déplaise à Emmanuel Macron. Pour nous, le RN, c’est toujours non.