Le 1er janvier 1959, Fidel Castro proclamait le «triomphe de la révolution». Soixante-cinq ans plus tard, les célébrations n’ont jamais été aussi amères dans l’île durement frappée par la crise économique. Hyperinflation, sous-alimentation, plan d’austérité sans précédent… La situation du pays, sous embargo des Etats-Unis, est telle que l’avenir des Cubains semble aujourd’hui se résumer à : partir ou attendre de pouvoir partir.
Se battre n’est même plus une option. Les cris des manifestants n’ont plus le même écho depuis la répression du mouvement de juillet 2021. Des milliers de Cubains étaient alors descendus dans les rues en scandant «Nous avons faim» et «Liberté» lors des plus grandes manifestations antigouvernementales enregistrées sur l’île communiste depuis la révolution. Selon les autorités, quelque 500 protestataires ont été condamnés, certains à des peines allant jusqu’à vingt-cinq ans de prison. Pour les organisations de défense des droits humains, le chiffre serait plus proche de 700. Dans ce contexte économique et politique mortifère, on estime qu’entre 500 000 et 700 000 habitants de l’île l’ont quittée ces deux dernières années. Et cette vague d’émigration massive qui vide lentement le pays de sa jeunesse et de sa population active n’est pas terminée.
Dans son éditorial du 1er janvier, le média indépendant 14ymedio, lancé par la célèbre blogueuse et journaliste Yoani Sánchez, dresse le bilan apocalyptique de l’année 2023. Il décrit un pays «dans les limbes», soit littéralement aux marges de l’enfer, avec ses produits de première nécessité introuvables ou inabordables, ses pénuries de médicaments et de médecins (ceux-là mêmes qui ont fait la légende du système de santé cubain), son agriculture en friche et son tourisme en berne. Apparaît alors le concept de «pré-migrants». Ces Cubains qui ont mis leur vie sur pause en attendant de pouvoir quitter l’île. «Personne ne les compte parmi les chiffres de l’exode massif, mais tout en étant toujours dans le pays, ils agissent comme s’ils ne l’habitaient plus», peut-on lire. Ils ne se marient pas, ne font plus d’enfants, n’acceptent pas de nouveau travail, renoncent à poursuivre leurs études, ne manifestent plus… Des fantômes, dans un vaisseau à la dérive.