La première cause de disparition de civilisations historiques, avançait l’historien britannique Arnold Toynbee, est le suicide. La guerre commerciale déclarée par le président des Etats-Unis dans la nuit du mercredi 2 au jeudi 3 avril en avait tout l’air, entre tableaux mal cadrés, chiffres confus, explications loufoques et phrases inexplicables. Le fameux «Liberation Day» trompeté par Donald Trump, vite suivi par la menace d’un «Retaliation Day» chinois et européen, annonce en réalité la fin d’un paradigme du commerce international vieux de plus d’un siècle que les Etats-Unis avaient grandement contribué à bâtir.

Alors que la majorité des investisseurs pensaient s’y être déjà préparés, les marchés s’effondraient dès l’ouverture ce jeudi, la Bourse américaine la tête la première, preuve que le désastre est bien plus grand que celui attendu. En termes économiques, cette imposition de droits de douane selon un barème totalement farfelu est suicidaire : le dernier bulletin de l’université Yale, dont les chercheurs traquent sans relâche les effets des annonces de la Maison Blanche, affirme que la perte annuelle de pouvoir d’achat pour les Américains pourrait s’élever à 3 800 dollars par ménage (3 400 euros). Et c’est sans prendre en ligne de compte les effets secondaires, qui comprendraient hélas des licenciements partout dans le monde, et forcément une chute de revenus non seulement pour les Européens ou les Asiatiques mais aussi pour les Américains eux-mêmes, qui s’approchent déjà dangereusement d’une récession.

En termes politiques, par contre, cette annonce présente pour Trump bien des avantages : les industriels et importateurs américains vont le supplier d’obtenir des exemptions ou rabais, et ceux-ci vont se négocier au prix cher, en contributions politiques et visites à Mar-a-Lago. Que faut-il en penser en termes géopolitiques ? Ceux qui ont essayé d’amadouer Trump avant l’annonce, y compris des leaders qu’il qualifie souvent de «meilleurs amis» comme Modi et Nétanyahou, ont pris tout aussi cher que les autres, et se retrouvent sans marge de manœuvre. Et des manœuvres vont être nécessaires, car il n’est pas plus question de s’incliner que de renchérir dans une guerre dont personne ne peut sortir vainqueur, et certainement pas les Etats-Unis.