Un parallélisme des écrans saisissant. Comme un symbole de tout ce qui cloche, un résumé inquiétant de la crise politique que traverse le pays. Toute la matinée de ce 10 septembre, les écrans des chaînes télé d’information en continu étaient coupés en deux. Images des manifestations et des tentatives de blocages, avec quantité de policiers, d’un côté. Plans fixes sur le perron de l’hôtel de Matignon pour la passation de pouvoir et plans de coupe sur les débats entre commentateurs politiques de l’autre. Comme deux actualités qui se faisaient face, presque hermétiques l’une à l’autre. Comme un révélateur de ce que François Bayrou et Sébastien Lecornu ont d’ailleurs tous les deux évoqué lors de leur court discours au moment de se passer le relais.
Profil
Le Premier ministre sortant a parlé du «réel» que la classe politique ne pourra plus continuer de nier. Avec évidemment l’état de la dette française en tête. Ce réel-là existe. Cette dette n’est pas supportable et il faut y remédier. François Bayrou a juste, ces dernières semaines, commis l’erreur de zoomer dessus au point d’obstruer sa vision sur les autres réalités des Français, et notamment celles qui pèsent sur le quotidien de millions d’entre eux, les plus fragiles. L’impétrant a, lui, parlé de «ce décalage entre la vie politique et la vie réelle», entre «la situation politique et ce qu’attendent les Français». Puisse cette phrase ne pas être qu’un élément de langage travaillé, le temps d’une journée, pour rabouter les deux parties de l’écran des chaînes d’info évoquées plus haut.
Sébastien Lecornu a aussi mentionné la nécessaire «rupture sur le fond» que sa nomination comme chef de gouvernement doit insuffler. Son CV, sa fidélité à Emmanuel Macron autorise à en douter. La foi en la politique, antidote à tous les populismes qui prospèrent et minent notre démocratie, pousse à le créditer d’une salutaire sincérité. L’homme est paraît-il habile et fin négociateur. Consulter les partis politiques et les syndicats comme il va le faire avant de nommer son gouvernement est rassurant sur la méthode. Sur le fond, la question est assez simple : quel contenu Sébastien Lecornu va-t-il mettre derrière le mot «rupture» ? De cela dépendra sa capacité à entamer cette réduction du «décalage entre la vie politique et la vie réelle». Et pas seulement sur les écrans.