La comparaison ne doit évidemment rien au hasard. En rédigeant sa lettre de démission, Elisabeth Borne a emprunté une formulation utilisée par Michel Rocard que François Mitterrand venait de remercier. C’était en mai 1991. «Alors qu’il me faut présenter la démission de mon gouvernement, je voulais vous dire…» Que conclure de cette manière de tirer sa révérence ? D’abord qu’elle en dit long sur l’état de la relation personnelle qu’entretenait le couple exécutif. La détestation entre Mitterrand et Rocard a rythmé l’histoire de la gauche des années 80-90. La rumeur circulait depuis un moment que les relations entre Emmanuel Macron et sa Première ministre étaient exécrables. Elisabeth Borne le confirme l’air de rien, ou plutôt l’air de dire que finalement, c’est peut-être la vraie raison de son éviction de Matignon. Elle quitte en tout cas son poste avec le sentiment du «devoir accompli». Difficile d’ailleurs de lui donner tort : jusqu’au bout, Elisabeth Borne aura joué le jeu, assumé ses fonctions quitte à avaler des couleuvres, compris que son magistère à la tête d’une majorité relative ne pouvait être qu’un chemin de croix, avertie parce que c’est la règle qu’elle était aussi là pour servir de fusible au président de la République.
En copiant Rocard, Elisabeth Borne sur le départ a aussi bien sûr voulu rappeler son CV de femme venue de la gauche. Sauf que là, désolé, mais la comparaison avec l’homme fort de la deuxième gauche relève de l’usurpation d’héritage. Faut-il rappeler que la CFDT a mis toutes ses forces dans la bataille contre la réforme des retraites d’Elisabeth Borne. Et si Michel Rocard reste connu pour sa phrase sur la France qui ne peut pas accueillir toute la misère du monde, la loi immigration qui vient d’être votée ne lui ressemble en rien. Et si la petite histoire retiendra qu’Elisabeth Borne partagera avec Michel Rocard un usage immodéré du 49.3, la grande histoire retiendra de l’homme de Conflans qu’il a bousculé son camp sans en changer. N’est pas Rocard qui veut.