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Libération
L'édito d'Alexandra Schwartzbrod

Esclavage moderne à deux pas de la tour Eiffel : elles témoignent

«Libé» révèle les conditions de vie et les violences que d’anciennes domestiques disent avoir vécues au domicile de leurs employeurs à Paris, protégés par leur immunité diplomatique.
A Paris, non loin de la résidence où Maria et Hanna ont été exploitées par l'ambassadeur adjoint du Qatar. (Aline Deschamps/Libération)
publié le 11 octobre 2024 à 20h11

En 2024, la pratique de l’esclavage existe toujours. Elle n’est plus assumée comme telle, elle s’exerce en cachette, mais ses ressorts restent les mêmes : emprise sur des personnes en situation de faiblesse ou de fragilité sociale et économique, chantage, violences, impunité totale des esclavagistes qui, bien souvent, sont des diplomates, donc intouchables. Nous avons retrouvé plusieurs victimes, essentiellement des femmes issues de quartiers pauvres d’un même pays, les Philippines. Abandonnées par leur mari avec des enfants à charge, prêtes à tout pour être en mesure de nourrir leur famille, elles se sont retrouvées à la merci de riches familles du Golfe n’hésitant pas à leur subtiliser leur passeport pour les empêcher de fuir et les avoir à leur disposition 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Et l’on ne parle même pas des viols qui auraient été infligés par certains époux à peine leur femme avait-elle le dos tourné.

C’est à l’occasion de séjours à Paris et grâce aux réseaux sociaux, notamment Facebook, que les victimes à qui nous avons parlé ont pu s’en sortir. Il faut lire leurs témoignages, ils sont accablants. Ils pointent le scandale absolu que représente le maintien de l’immunité diplomatique en cas de traite d’êtres humains et de viols. Les cas sont très fréquents mais si le pays dont le diplomate est originaire ne lève pas son immunité, il n’y a aucun recours possible et l’homme peut continuer – avec sa femme – à employer d’autres esclaves qui auront peut-être moins de chance que celles dont nous avons retrouvé la trace. Car c’est cela le pire : pour quelques victimes qui parviennent à échapper à leurs bourreaux, combien de femmes mais aussi d’hommes continuent aujourd’hui à être esclavagisés, ici ou ailleurs, dans le Golfe notamment où l’abondance des pétrodollars fait perdre à certains toute notion de respect et d’éthique ? La levée de l’immunité diplomatique dans ces cas d’esclavagisme moderne serait une première mesure à prendre qui pourrait, avec le rôle positif des réseaux sociaux et d’entraide, entraîner un cercle vertueux.