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Libération
L'édito de Dov Alfon et Hamdam Mostafavi

Etats-Unis, Iran, Israël… au Moyen-Orient, la déflagration

L’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Iran, ce week-end, fait basculer le conflit entre Tel-Aviv et Téhéran dans une nouvelle dimension et bouleverse les équilibres géopolitiques de toute la région.
Illustration d'un bombardier furtif B-2 Spirit déployé par les Américains pour attaquer l'Iran dans le cadre de l'opération «Midnight Hammer». (USAF. Polaris. Starface)
publié le 22 juin 2025 à 21h00

Voici donc se dessiner sous nos yeux ébahis le nouveau Moyen-Orient. En envoyant samedi soir ses fameux bombardiers pas si furtifs «oblitérer» les sites nucléaires iraniens, dans une attaque surprise apparemment contraire au droit international, probablement en contradiction avec la Constitution américaine et certainement aux antipodes de ses promesses électorales, Donald Trump en a redessiné la carte.

Ce nouveau Moyen-Orient n’a pas de frontières sûres et reconnues. Mais cette région en a-t-elle jamais eu ? Elle a maintenant de nouveaux vainqueurs et de nouveaux vaincus, statut bien temporaire et mal défini. Le Premier ministre israélien en est pour l’instant le grand gagnant, redevenant l’allié puissant dont l’Occident a besoin. Le régime iranien en ressort forcément affaibli, ayant tout fait depuis 46 ans pour éviter cette confrontation directe avec les Etats-Unis et voyant s’annihiler progressivement ce qui faisait sa fierté face aux puissances régionales, son fameux programme nucléaire.

Et tout autour, des acteurs majeurs se verraient bien revenir sur le devant de la scène, de Recep Tayyip Erdogan à Vladimir Poutine, qui accueillera ce lundi le ministre iranien des Affaires étrangères pour accentuer sa candidature invraisemblable de médiateur. Car dans ce nouveau Moyen-Orient, l’ennemi de mon ennemi n’est pas forcément mon ami.

La formule du «nouveau Moyen-Orient» était de Shimon Pérès, l’architecte malheureux des accords d’Oslo. Reprise par Nétanyahou comme credo pour oblitérer les Palestiniens, elle fut un temps oubliée, après les massacres du Hamas le 7 octobre 2023 et les dizaines de milliers de victimes des représailles israéliennes sanguinaires à Gaza.

La voilà de retour dans une nouvelle version trumpiste, qui consiste à masquer ses intentions messianiques sous des abords rationnels de géopolitique et sécurité régionale. Car tout en pointant le risque pour Donald Trump de se couper de sa base populaire, sevrée au discours populiste de «America First» et de déclarations isolationnistes fracassantes, il nous faut rappeler l’influence majeure sur le Président américain de ses donateurs appartenant au courant évangéliste.

Quatre jours avant la décision de Trump, la Maison Blanche diffusait un message au président de Mike Huckabee, ancien gouverneur de l’Arkansas, pasteur baptiste nommé ambassadeur à Jérusalem, expliquant que Dieu avait laissé la vie sauve à Donald Trump uniquement pour qu’il puisse bombarder l’Iran.

C’est ce que Donald Trump a apparemment choisi de croire, du moins selon sa propre allocution de samedi soir, qu’il clôt avec ces incantations : «Je tiens à remercier tout le monde, et en particulier Dieu. Je veux simplement dire que nous t’aimons, Dieu, et que nous aimons notre grande armée. Protège-les. Que Dieu bénisse le Moyen-Orient. Que Dieu bénisse Israël et que Dieu bénisse l’Amérique.» C’est ainsi qu’une opération militaire trouvant son inspiration dans un verset biblique haineux débouche sur une déflagration aux accents messianiques évidents.

En face, le messianisme, on connaît. Khamenei a toujours fait montre d’une idéologie simple : l’heure de l’avènement de l’islam sur le monde est arrivée, face à l’occident moderne et décadent, et c’est à sa République islamique de réaliser cette prophétie. Une démarche aux accents religieux qui fait écho à celle du leader américain. Dans ce face-à-face mortel, tout pragmatisme semble avoir été abandonné côté iranien : après avoir tant œuvré à maintenir coûte que coûte son régime, l’ayatollah semble vouloir entraîner son peuple impuissant dans une escalade suicidaire, face à des ennemis bien plus armés que lui et visiblement très déterminés.

Qu’il l’accepte ou non, les options du guide s’amenuisent et sont toutes plus périlleuses les unes que les autres. Seule une foi aveugle peut expliquer son refus de calmer le jeu. Faut-il rappeler qu’il avait fallu huit ans de guerre et plus d’un million de morts pour que le fondateur de la République islamique, l’ayatollah Khomeyni, accepte de «boire la coupe de poison» – selon ses mots – en faisant la paix avec l’Irak. Face aux «petit et grand Satans», comme les désigne constamment Ali Khamenei, un revirement paraît encore plus improbable. Une démarche aux accents religieux qui fait écho à celles du leader américain et du gouvernement israélien.

Entre tous ces dieux, la raison a bien du mal à se frayer un chemin. Il le faut pourtant, car laisser cette dynamique guerrière s’emballer ne laissera sur la carte du Moyen-Orient que des vaincus.