Menu
Libération
L'édito d'Alexandra Schwartzbrod

Festival de Cannes : une ouverture sur un tapis de braises

Historiquement, les combats cannois visaient le monde extérieur. Cette année, c’est le milieu du cinéma lui-même qui est rattrapé par la révolte des travailleurs précaires et les scandales de violences sexuelles.
A Cannes devant le Palais des festivals, lundi. (Laura Stevens/Modds)
publié le 13 mai 2024 à 21h01

Chaque ouverture du Festival de Cannes est précédée de la même frénésie, mélange d’excitation et d’angoisse, et des mêmes questionnements: la présidente du jury (ou le président) va-t-elle imprimer sa marque sur le palmarès, telle ou telle tête d’affiche sera-t-elle bien présente, tels ennemis jurés vont-ils se côtoyer sans drame, le marché du cinéma va-t-il faire la part belle aux films français, et surtout pourra-t-on échapper à la pluie ? Cette année, ces questionnements, cette frénésie, cette angoisse sont démultipliés. Rarement un festival aura été précédé d’autant de rumeurs et de colère. Rarement un festival aura créé autant d’attentes. Les combats qui ont ponctué son histoire visaient d’ordinaire le monde extérieur (Mai 68, la guerre en Irak, la dictature iranienne, la réforme des retraites en France…), cette année les combats visent le milieu lui-même, entre travailleurs précaires révoltés et #MeToo en pagaille.

Après tout, le cinéma raconte la société comme elle va ou comme elle bouge, or la profession, elle, ne bouge pas. Ou pas assez. C’est là le paradoxe. Le mouvement #MeToo est né en 2017 dans le sillage de l’affaire Weinstein, ce producteur de cinéma américain accusé d’agression sexuelle ou de viol par de nombreuses femmes, mais il a peiné à briser l’omerta qui règne dans le milieu en France. Jusqu’à ces derniers mois où l’on a vu plusieurs réalisateurs montrés du doigt, de Benoît Jacquot à Jacques Doillon. Le patron du Centre national du cinéma lui-même est accusé d’agression sexuelle par son filleul et beaucoup ne comprennent pas que Dominique Boutonnat soit maintenu à son poste, la révolte gronde et ces grondements n’épargneront sans doute pas cette nouvelle édition du Festival. Les organisateurs ont bien fait quelques efforts : emmené par l’Américaine Greta Gerwig, le jury compte davantage de femmes que d’hommes. Mais si Justine Triet a emporté la palme d’or l’an dernier pour Anatomie d’une chute, seuls quatre films sont réalisés cette année par des femmes sur les vingt-deux en compétition.