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Libération
Editorial

Frappes israéliennes en Iran : un embrasement dangereux aux accents religieux

L’Etat hébreu a lancé dans la nuit de jeudi à vendredi 13 juin l’opération «Rising Lion» contre les installations nucléaires de Téhéran, une escalade risquée dans ce conflit régional qui vire à la guerre de religions multimillénaire.
A Kermanshah, en Iran, le 13 juin 2025. (Social media/Reuters)
publié le 13 juin 2025 à 17h49

L’attaque israélienne spectaculaire contre l’Iran, qui a commencé à 3h30 dans la nuit de jeudi à vendredi et continué de déferler par vagues successives hautement organisées sur le territoire iranien toute la matinée, représente d’un point de vue militaire une énorme réussite. Du point de vue politique, par contre, elle met en danger des millions de civils, y compris la population israélienne, et fait basculer le Moyen-Orient dans un embrasement que les pompiers habituels (les Etats-Unis, le Conseil de sécurité et les Etats avoisinants) ne peuvent ou ne veulent plus éteindre.

Ostensiblement dirigée contre les sites nucléaires iraniens, dont l’activité secrète venait d’être dénoncée quelques heures auparavant par l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’opération israélienne avait pour vraie mission de décapiter la chaîne de commandement militaire iranienne et de paralyser son gouvernement. Parmi les généraux ciblés et tués : la garde rapprochée du Guide suprême Ali Khamenei, à savoir le chef d’état-major des forces armées iraniennes Mohammad Bagheri et le commandant en chef de la puissante organisation des Gardiens de la révolution, le général Hossein Salami. Ils ont certes été immédiatement remplacés, mais Israël ne cesse depuis le 7 octobre 2023 de priver Ali Khamenei, numéro 1 iranien, de ses hommes de confiance.

Natanz, Tabriz, Chiraz – les cibles bombardées par l’aviation israélienne, ou visées par un possible commando terrestre – sont éloignées de centaines de kilomètres les unes des autres, mais ont toutes été ravagées sans la moindre résistance. Le gouvernement israélien, y compris par la voix de son ambassadeur en France, a clairement déclaré qu’il ne cherchait pas à ébranler le régime, répondant ainsi à une question qui ne lui était pas posée. Une manière de laisser planer ses vraies intentions

Donald Trump, qui a qualifié l’attaque d’«excellente», semble vouloir pousser les mollahs à plier et signer un accord, alors que les négociations entamées depuis plusieurs semaines au sujet du programme nucléaire patinent. Il n’est pas certain que cette démarche radicale les fasse beaucoup avancer. Faire des concessions dans ces conditions serait, pour le Guide suprême, un aveu de faiblesse devant les Iraniens. En réalité, cette attaque conçue pour humilier les mollahs risque au contraire de les renforcer, soudant la population iranienne derrière son gouvernement, exactement comme Nétanyahou est sorti renforcé de l’attaque du Hamas.

Mais la comparaison ne s’arrête pas là. Le nom donné en fanfare à l’opération militaire israélienne, «Eveil du lion», est tiré d’un verset biblique souvent cité par l’extrême droite religieuse : «C’est un peuple qui se lève comme une lionne, Et qui se dresse comme un lion ; Il ne se couche point jusqu’à ce qu’il ait dévoré la proie, Et qu’il ait bu le sang des blessés.» A 2 000 kilomètres de Jérusalem, le numéro 1 iranien a aussi pris des accents messianiques, critiquant la «nature diabolique du régime sioniste» et promettant une «punition sévère par la volonté de Dieu». A Téhéran, les manifestants crient déjà vengeance. Les Iraniens restent hantés par le traumatisme de la guerre Iran-Irak et toute mort ne fait qu’alimenter la mythologie du martyre, au cœur du logiciel du régime. Dans ce conflit ­régional qui tend de plus en plus à rappeler une guerre de religions multi­millénaire, le sang des uns et des autres n’est pas près ­d’arrêter de couler..