Il y a tout juste un an, le 9 octobre 2023, le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou prenait la parole pour déclarer que, après l’attaque du Hamas sur ses citoyens, Israël entrait officiellement en guerre, que sa revanche serait «terrible» et «changerait la face du Moyen-Orient». Pour la première et sans doute unique fois de toute sa carrière politique, Nétanyahou ne mentait pas. Sa guerre a transformé Gaza en champs de ruines, des dizaines de milliers de personnes ont été tuées et 90 % de ses 2,2 millions d’habitants ont été déplacés, souvent à plusieurs reprises.
«Les citronniers, les forêts d’oliviers, les inégalités de terrain représentent parfaitement le paysage du Languedoc ; l’on croit être du côté de Béziers», écrit Bonaparte au général Desaix en 1799. La majorité des habitants de Gaza n’en sont pas originaires et n’ont pas eu d’ancêtre qui aurait pu en témoigner : ils sont les descendants de réfugiés qui ont été expulsés, ou qui ont fui par peur, pendant la guerre de 1948. Nombre d’entre eux peuvent voir depuis Gaza la terre où vivaient leurs parents et grands-parents, même si eux n’y mettront jamais les pieds.
Déjà déclarée par les Nations unies en 2017 «zone invivable» en raison de son manque d’eau potable, Gaza est maintenant synonyme d’un désastre humanitaire sans fin, où les camions-citernes qui se déplacent encore dans le territoire entraînent d’immenses attroupements, et où les prix explosent pour toutes les denrées, les tentes, les médicaments. Nour Z. Jarada, psychologue gazaouie qui chronique pour Libération son quotidien dans l’enclave, rythmé par la guerre, nous écrit cette phrase terrible : «Je n’aurais jamais cru que je reviendrais sur une année entière de guerre, tout comme je n’aurais jamais imaginé survivre à tant de chagrin.»
Que peut-on encore définir comme «normal» ? Certainement pas l’impuissance de la communauté internationale, qui n’a pas eu une seule initiative susceptible de mettre un terme à cette tragédie. Tous les efforts diplomatiques, y compris ceux de la France et certainement ceux des Etats-Unis, ne visent qu’à «contenir» les hostilités, autrement dit éviter que la guerre ne se propage aux alentours, enflammant les cours du pétrole, déstabilisant l’équilibre politique, ébranlant les marchés. «Contenir», c’est laisser les Gazaouis périr à petit feu.
Interdite par Israël (et par l’Egypte) à la presse internationale depuis un an, Gaza veut exister et faire entendre son désespoir ; nous avons voulu l‘entendre. Médecins, humanitaires, commerçants, ils nous décrivent les privations, les blessures et le deuil qui font partie de leur quotidien qu’il faut s’interdire d’accepter comme «normal».
Car ce qui est arrivé et continue d’arriver aux millions de Palestiniens innocents – et ils existent, n’en déplaise à Nétanyahou – est tout aussi horrible que le massacre du 7 Octobre et ne saurait constituer une réponse justifiable. La preuve, des quatre objectifs définis par le Premier ministre israélien il y a tout juste un an – l’éradication du Hamas, la sécurisation des frontières d’Israël, le retour des otages retenus à Gaza et la réunification de la société israélienne – aucun n’a été atteint, au contraire. Le seul résultat de cette vengeance impitoyable aura été d’amplifier la haine mutuelle entre les deux peuples ; son seul succès aura été d’éterniser leur douleur. Et cela, ce n’est pas normal non plus.