Chaque personne peut soudain basculer dans l’héroïsme, comme on tomberait dans une bouche d’égout inattendue. C’est un peu ce qui est arrivé à Gisèle Pelicot. «Un nom qui fait échoppe et dont le prénom saigne», comme dans le poème d’Aragon, qui rappelle que «Ce nom banal, ce nom comme une terre en friche / Est aujourd’hui sacré pour les gens de chez nous.» Ecrit en hommage à un homme «normal» devenu résistant, il pourrait presque être lu pour Gisèle Pelicot, une femme on ne peut plus normale devenue figure de lutte mondialement reconnue. Car au départ, il n’y a qu’une vie tranquille, une famille idéale, un mari «tellement prévenant» qui prend tout son quotidien en main, une retraite bien méritée en 2013 à la campagne. Puis commencent des symptômes que les médecins n’arrivent pas à expliquer, entre fatigue incompréhensible et troubles de mémoire, jusqu’à l’arrivée des policiers qui lui annoncent l’incompréhensible : son mari, père de ses trois enfants, l’a droguée puis violée à son insu durant presque dix ans, invitant dans leur maison de Mazan, commune de 6 000 habitants en périphérie de Carpentras, au moins 50 autres hommes pour faire de même.
Et c’est dans cet égout, après une longue période d’enfermement, où le huis clos paraît inévitable, alors que même le président du tribunal hésite sur la conduite à suivre dans ce procès inédit et terrifiant, que tombe la décision de Gisèle Pelicot : on ouvre tout, on déballe tout, on diffuse tout. De victime elle devient héroïne pour des millions de femmes : «Je voulais que toutes les femmes victimes de viol puissent se dire “Mme Pelicot l’a fait, on pourra le faire”», explique-t-elle simplement. La septuagénaire pourrait prendre la parole une dernière fois cette semaine. Pour elle, pas question d’héroïsme, n’en déplaise aux poètes : «J’exprime surtout ma volonté et ma détermination pour qu’on change cette société», elle explique. S’il reste à vérifier que son message a été partout reçu, il est déjà acquis que son exemple doit être sacralisé.