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Libération
L'édito de Paul Quinio

Gouvernement Barnier : les leçons d’une droitisation

Gouvernement Bayroudossier
Si l’on ne sait pas encore si le gouvernement fraîchement présenté samedi saura s’inscrire dans la durée, ses composantes, marquées à droite, illustrent le virage conservateur qu’a pris la macronie ces dernières années. Le Premier ministre, surveillé par le Rassemblement national, va devoir jouer à l’équilibriste.
Emmanuel Macron et Michel Barnier évoquent le Brexit à l'Elysée, le 31 janvier 2020. (Ludovic Marin/AFP)
publié le 22 septembre 2024 à 19h07

Long ou court ? Dimanche, après le premier café matinal faisant suite au dévoilement, la veille, du gouvernement de Michel Barnier, c’était un peu la question. Est-ce que le temps que ce gouvernement a devant lui sera trop long pour la France, tant il semble avoir été composé sous le sceau de l’impuissance, alors qu’il n’y a pas franchement de temps à perdre sur énormément de sujets majeurs (urgence climatique, situation budgétaire, redressement de services publics comme l’éducation ou la santé, situation dans les territoires ultramarins, crises internationales…) ? Ou sera-t-il très court, car soumis rapidement à une censure ? Marine Le Pen, sitôt l’équipe de Michel Barnier rendue publique, a parlé de gouvernement «transitoire». C’est dire…

Démocratie fragilisée

A défaut de prédire l’avenir, ou de spéculer sur le talent de la cohorte d’inconnus qui ont hérité d’un portefeuille ministériel, il est essentiel de rappeler que ce gouvernement est avant tout le bébé d’une dérive démocratique inquiétante. La décision de dissoudre, comme la manière d’Emmanuel Macron de gérer la situation politique qui en a résulté, a confirmé la désinvolture avec laquelle le chef de l’Etat joue avec les institutions, au point d’abîmer un des fondements de nos équilibres démocratiques : le vote. Au-delà des conséquences partisanes qui en découlent (une coalition de gauche, certes pas irréprochable, mais grande perdante des législatives alors qu’elle était arrivée en tête, une formation de droite à l’inverse grande perdante du scrutin mais qui hérite de plusieurs places d’honneur dans le gouvernement ; enfin, une extrême droite délégitimée par le vote des Français pour exercer le pouvoir qui se retrouve en position d’arbitre), c’est l’enseignement majeur de la séquence : Emmanuel Macron a fragilisé une démocratie française qui allait déjà mal.

Ceci posé, il y a des leçons politiques à tirer de la composition du gouvernement. La macronie tentait depuis la réélection du chef de l’Etat, depuis même la moitié du premier quinquennat, de masquer son tropisme droitier. Elle se retrouve aujourd’hui à faire copain-copain avec la droite dure, très très conservatrice sur les questions sociétales, qu’incarne Bruno Retailleau. C’est évidemment un sujet d’inquiétude majeur, et ça l’est d’autant plus que le gouvernement va être sous la surveillance étroite de l’extrême droite.

Rapports de force

La liste du gouvernement acte aussi que le début de la fin est enclenché pour Emmanuel Macron. Ou plutôt les absents de cette liste : Edouard Philippe, Gabriel Attal, Gérald Darmanin, Laurent Wauquiez sont tous arrivés à la conclusion qu’il valait mieux, pour préserver leurs ambitions présidentielles, rester en dehors de l’équipe gouvernementale. Jupiter est si désarmé que les prétendants à sa succession lui indiquent déjà la sortie. Ce ne sera pas sans conséquence pour Michel Barnier, qui devra manœuvrer avec ces ambitieux. Dit autrement : le soi-disant équilibre du gouvernement sera dépendant de rapports de force externes à l’équipe elle-même, mais internes à la majorité qui le soutient. Que pèseront les ministres, pour la plupart des chevaux légers, face aux poids lourds cités plus haut ? Pas grand-chose, et cela ne pourra que s’aggraver au fil du temps.

Et comme décidément tout tourne, dans cette séquence, autour de cette notion de temps, le dernier enseignement concerne la gauche. Entre la stratégie de LFI qui – pour résumer – a été de tout faire pour éviter de se retrouver aux affaires et la faiblesse des autres formations membres du NFP, la démonstration a été faite que la gauche a besoin de temps. L’utilisera-t-elle pour se déchirer ou pour convaincre les Français, qui en doutent sérieusement, qu’elle est capable de gouverner ?