C’est une boutade qui circulait au Quai d’Orsay dès les années 90 : «Il faut se rendre à l’évidence, il y a toujours deux superpuissances dans ce monde, mais ce sont les Etats-Unis et le Qatar.» Depuis, bien du sang a coulé au Moyen-Orient, bien des pots-de-vin ont été versés à Bruxelles et bien des entraîneurs se sont succédé au Paris Saint-Germain, mais le minuscule Etat du Golfe n’en finit pas d’étendre son influence. Alors que le ministre de la Défense qatari, Khalid bin Mohammad al-Attiyah, atterrit à Paris ce jeudi avec son carnet de chèques illimité, l’Elysée boucle selon nos informations pour la fin février les détails d’une ultime volte-face diplomatique, une visite d’Etat en grande pompe de l’émir Al-Thani, avec tous les fastes qu’Emmanuel Macron saura déployer, peut-être au château de Versailles. Oublié, l’opprobre international après le 7 octobre, quand les liens troubles du Qatar avec le Hamas étaient devenus une source d’embarras. Massacres, viols, représailles sanglantes, famine ou perturbation du commerce mondial, toutes les conséquences de l’attaque terroriste meurtrière du 7 octobre pouvaient être rattachées à l’émirat gazier, qui versait jusqu’à 30 millions de dollars par mois à la bande de Gaza dirigée par le Hamas et hébergeait à Doha ses dirigeants. Mais maintenant, place à Versailles !
Notre enquête révèle les dessous de cet incroyable retournement, de Ronald Lauder à Al-Jazeera en passant par le Crif, de Gaza à Washington en passant par Paris. Tous les otages américains ou français qui étaient aux mains du Hamas à Gaza ont été libérés grâce à la médiation du Qatar, ce qui lui a valu la gratitude publique du président américain Joe Biden et d’Emmanuel Macron. Depuis, la France, l’Italie et les Pays-Bas ont tous signé avec lui des accords à long terme pour la fourniture de gaz naturel liquéfié, et aucun pays ne peut s’épargner un arrêt à Doha sur la route des négociations au Moyen-Orient. La question reste de savoir si la pression sur le Qatar en raison de ses liens avec le Hamas va disparaître ou s’intensifier. Une réponse devra être donnée sous peu, à Versailles comme ailleurs.