Ce n’est qu’un dispositif fiscal, mais il détermine avec une précision de boussole l’appartenance politique en France. Près de 40 ans après son invention, l’ISF ( «Impôt de Solidarité sur la Fortune», sous son ancien nom «Impôt sur les grandes fortunes») continue de diviser la classe politique. Mis en place par la gauche sous François Mitterrand, son annulation fut l’une des premières mesures d’Emmanuel Macron, et contribua plus que tout à son image de «Président des très riches». Le chef de l’état expliquait sa décision par l’inefficacité supposée de cet impôt hautement symbolique, sempiternel refrain de la droite libérale. Est-ce que l’on abolirait la TVA à cause des fraudes gigantesques dont elle fait l’objet ?
L’enquête que nous publions aujourd’hui explique facilement la soi-disant inefficacité de l’ISF : une évasion fiscale d’une ampleur inouïe, dont l’ingénieux mécanisme échappe à Bercy depuis plus de dix ans. Car quel est le point commun entre les frères Seydoux, parrains du cinéma français, l’un des fondateurs des hypers Carrefour, un ancien maire de Vittel ou un aristocrate descendant supposé de Clovis ? C’est qu’ils ont, comme une centaine d’autres millionnaires made in France, délocalisé leur fortune au Québec pour pouvoir échapper à l’ISF. Vive le Québec libre ! Nous démontrons comment argent liquide, immeubles, tableaux et actions vont sortir en pagaille des patrimoines de leurs propriétaires en France, dont certains n’hésitent pourtant pas à demander aux Français de préférer leurs produits faits en France. C’est bien connu dans ces milieux, le nationalisme financier n’est bon que pour les autres. La brèche canadienne est en passe d’être fermée, mais il y a en a probablement bien d’autres. Selon un sondage Ifop pour l’Humanité de mai, 78% de Français souhaitent rétablir l’ISF. Ils veulent surtout une France plus juste.