Il est coutume de s’extasier devant le parcours de Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon qui quitte aujourd’hui son poste de directeur général pour se concentrer sur ses dadas personnels. Beau parcours que celui-là : parti de rien – si on oublie ses études à Princeton et un premier investissement de 250 000 dollars, financés tous deux par ses parents –, Bezos a réussi en moins de trente ans à bouleverser la planète : changer notre relation à la consommation, détruire les commerces de proximité aux Etats-Unis et au-delà, affaiblir le monde de l’édition, celui des auteurs et celui des libraires, épuiser ses salariés et mettre leur santé en grave danger, ébranler le cinéma, la télévision et le sport, menacer le patrimoine naturel en France et en Europe, et surtout terriblement aggraver à lui tout seul le dérèglement climatique. En 2019, d’après ses propres calculs, Amazon était directement responsable d’émissions de dioxyde de carbone à hauteur de 51 millions de tonnes, plus que la Suède. Comme le Rat qui s’est retiré du monde de La Fontaine, Bezos va maintenant arbitrer qui va bénéficier de «quelque aumône légère», 791 millions de dollars rien que pour cette année, plaçant ainsi une muselière dorée sur les organisations et associations qui alertent sur le danger climatique que posent des géants comme Amazon. L’homme le plus riche du monde est aussi sans doute le plus hypocrite, dépensant chaque année 1 milliard de ses dollars dans une course infantile à devenir le premier touriste de l’espace. «C’est sans doute la chose la plus importante à laquelle j’ai travaillé», disait-il à propos de sa compagnie spatiale, Blue Origin, car pour lui, il ne fait aucun doute que «nous allons devoir quitter cette planète». Qui le saurait mieux que lui ? Il est déjà clair que le moyen le plus efficace de réduire l’empreinte carbone mondiale est de laisser Jeff Bezos en orbite dans sa fusée bleue, loin du monstre qu’il a créé et de la planète qu’il a tant aidé à décimer.
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