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Libération
L'édito d'Alexandra Schwartzbrod

La toute-puissance de Bigard, l’impunité des grands groupes industriels

Les entreprises du secteur, comme Bigard ou Lactalis, continuent à profiter des failles du système, en imposant règles et prix ahurissants à des agriculteurs déjà sous pression, nourrissant la crise agricole.
Le patron du groupe, Jean-Paul Bigard, à Paris en septembre. (Ludovic Marin/AFP)
publié le 1er mars 2024 à 20h27

Elles sont rares les grosses entreprises où la CGT ne souhaite pas parler aux journalistes tandis que la CFDT et FO vantent les mérites du patron. Chez Bigard, numéro 1 français de la viande, bovine notamment, on entretient savamment le culte du secret, du bas jusqu’au sommet de la hiérarchie. Aucune tête ne doit dépasser, aucune voix ne doit s’exprimer. Même l’ex-ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll et l’ancienne présidente de la FNSEA Christiane Lambert ne veulent pas donner l’impression de cafter dans le dos de Jean-Paul Bigard. En gros, chacun son métier, les vaches seront bien gardées. Sauf que ce culte du secret permet à l’entreprise familiale de faire à peu près ce qu’elle veut sur le marché, d’imposer ses règles et de faire rendre gorge à des éleveurs déjà pressurisés par la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation animale.

Selon l’enquête que nous publions, un éleveur perçoit entre 1 800 et 2 500 euros pour un animal qu’il a nourri et soigné durant… trois ans ! Ce chiffre est ahurissant et explique en grande partie la colère des agriculteurs qui se retrouvent dans la main de groupes tout-puissants et opaques, comme Bigard pour la viande ou Lactalis pour le lait, sur lesquels ils n’ont aucune prise. Ils sont forcés d’accepter les prix imposés, ce qui pousse certains à vendre à perte. On comprend qu’ils se révoltent, du moins qu’ils essaient. Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a bien essayé de faire la grosse voix, quand la crise agricole culminait, en annonçant des injonctions contre des industriels pour non-respect des lois Egalim qui visent à protéger le revenu des producteurs. Le nom de Bigard a circulé avant d’être démenti par l’intéressé. Pour l’instant, le coup de semonce semble avoir fait pschitt. Les grandes entreprises du secteur continuent à profiter des largesses et des failles du système, en totale impunité. La révolte des agriculteurs aura au moins eu le mérite de braquer le projecteur sur elles. Espérons qu’il ne s’éteigne pas trop vite.