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Libération
L'édito de Dov Alfon

L’assassinat d’Hélène Rytmann par le philosophe Louis Althusser, un féminicide qui ne disait pas son nom

Violences conjugalesdossier
Durant longtemps, l’aura intellectuelle du ponte de l’Ecole normale supérieure a servi à relativiser voire romantiser le meurtre de sa femme. «Libération» a enquêté sur la vie et la mort de la chercheuse de terrain invisibilisée par son illustre assassin.
Hélène Rytmann et Louis Althusser en Grèce le 4 avril 1980, sept mois avant l’assassinat de la première par le second. (Archives Louis Althusser. IMEC)
publié le 25 décembre 2023 à 19h43

Faut-il renommer le foyer des étudiants de la rue d’Ulm du nom d’Hélène Rytmann, dite Legotien, brillante chercheuse, morte étranglée des mains de son mari, le philosophe Louis Althusser ? Tout commence par une dépêche de l’Agence France Presse, le lundi 17 novembre 1980 au soir : l’autopsie a révélé que la mort de la femme du secrétaire de l’Ecole normale supérieure était due indiscutablement à une strangulation, titrent les journaux. Les hypothèses précédentes – mort naturelle, accident, suicide, voire pacte suicidaire – tombent à l’eau au profit d’un mythe, celui du philosophe maudit, cultivé par ses écrits posthumes mais aussi grâce aux prises de position de ses élèves idolâtres, et qui se renforçait plus sa victime était effacée. Car que sait-on d’Hélène Legotien Rytmann ? «Elle lui pompait l’air», d’après Philippe Sollers ; «Il l’asphyxia sous un oreiller pour la sauver de l’angoisse qui l’asphyxiait lui», expliqua Régis Debray ; elle était «une femme revêche», voire «acariâtre», disent «des amis du couple».

Libération a retracé l’histoire de cette grande résistante, assistante réalisatrice de Jean Renoir, sœur de «l’empereur de Montparnasse», chargée d’études à l’OCDE, sociologue de terrain jusqu’à ses dernières heures. «Il est mal, il est violent, j’appréhende le retour», dit-elle à son entourage quelques heures avant sa mort. Tous les mécanismes du féminicide sont là. «Je te serre tendrement dans mes bras, ma petite camarade vivante», lui avait-il écrit dans une de ses premières lettres d’amour. Est-ce un hasard si le livre qui retrace aujourd’hui ce meurtre comme il se doit, Althusser Assassin, est dû à un chercheur canadien, Francis Dupuis-Déri, et n’a pas paru chez un éditeur français ? Une plaque à l’entrée de l’Ecole normale supérieure serait bien le minimum.