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Libération
L'édito de Paul Quinio

Le Pen est mort, le combat continue

La mort du fondateur du Front national, le 7 janvier 2025 à 96 ans, ne signe pas la fin du mouvement ripoliné en Rassemblement national par sa fille Marine Le Pen. Bien au contraire, jamais l’extrême droite n’a semblé aussi proche du pouvoir. Contre ses valeurs xénophobes et mortifères, Libé a veillé, veille et veillera.
Jean-Marie Le Pen en janvier 2011 au siège du Front national (Laurent Troude/Libération)
publié le 7 janvier 2025 à 15h00

«Non». Jean-Marie Le Pen est mort et c’est ce mot qui naturellement s’impose : ce «non» qui résume la longue confrontation entre Libération et celui qui incarna des décennies durant le visage de l’extrême droite française. Ce «non» qui figurait en énorme sur la une de notre journal le 22 avril 2002, au lendemain de la première qualification d’un candidat d’extrême droite au second tour de la présidentielle, couverture de Libé qui fut brandie par des milliers de bras dans la grande manifestation du 1er mai suivant qui contribua à lui barrer la route de l’Elysée. Cette une est un marqueur dans l’histoire de notre journal. Le symbole de notre opposition résolue à voir l’extrême droite prendre le pouvoir en France. L’incarnation d’un fil rouge journalistique et citoyen en faveur de valeurs totalement opposées à celles du Front national de Jean-Marie Le Pen hier, du Rassemblement national que dirige sa fille Marine Le Pen aujourd’hui.

Ce «non» est un étendard de notre refus de la justification de la torture en Algérie, du négationnisme des crimes nazis, de l’antisémitisme, du racisme consubstantiel au FN, de sa préférence nationale, de la haine anti-pédés, du méprisable «sidaïques», de la vision rance d’une France pétainiste, qui s’agenouille devant les intégristes catholiques, de l’obsession anti-immigrés qui ne s’appelait pas encore à l’époque «théorie du grand remplacement», cette liste n’étant pas, loin de là, exhaustive.

Jean-Marie Le Pen est mort. Il ne fait évidemment pas partie de nos valeurs de nous réjouir de la mort d’un homme – malgré la rudesse de nos combats. Mais alors qu’une page se tourne dans l’histoire de l’extrême droite de ce pays, faut-il préciser que cet événement ne change rien à nos engagements républicains ? L’extrême droite est plus puissante que jamais. Ce constat nous oblige bien sûr à nous interroger sur la manière de lutter, journalistiquement, contre le Rassemblement national. Il nous impose aussi d’être plus que jamais sûrs de nos valeurs, et de ne pas être dupes de l’entreprise de dédiabolisation à l’œuvre depuis la mise au placard du père par la fille.

Dernier épisode de cette stratégie du gant de velours : le succès électoral du RN lors des dernières législatives. Entré en force à l’Assemblée nationale, le parti a eu le pouvoir de dire stop à l’expérience baroque du gouvernement Barnier. Son successeur François Bayrou peut subir le même sort à tout moment. Une victoire à la présidentielle, inscrite à l’agenda d’empires économiques, médiatiques et numériques ultra-puissants, n’a jamais été aussi probable. Raison de plus pour ne pas renoncer à livrer cette bataille culturelle, d’autant que le fond de sauce idéologique reste en 2025 aussi nauséabond qu’auparavant, à quelques nuances près. Ainsi, Libération a, lors des dernières législatives, en juin 2024, largement documenté le profil des candidats du RN, démontrant que les liens de la formation dirigée par Marine Le Pen avec la fachosphère et les groupuscules extrémistes fort peu recommandables sont loin d’être rompus. Jean-Marie Le Pen est mort. Il laisse malheureusement en héritage une extrême droite bien vivante. A qui Libération continuera, malgré les vents contraires, de dire «non».