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Libération
L'édito de Paul Quinio

Législatives : la peur du pire

Elections législatives 2024dossier
Au seuil d’une élection anxiogène, la gauche doit assumer de porter un combat moral et des propositions crédibles de rupture pour contrer le RN, dont une victoire serait synonyme de catastrophe démocratique, économique, sociale et écologique.
Sur la place de la République, jeudi. (Cha Gonzalez/Libération)
publié le 28 juin 2024 à 20h10

La France va-t-elle, comme d’autres démocraties libérales avant elle, céder ce week-end et le 7 juillet, aux sirènes mortifères de l’extrême droite ? Après des élections européennes où le Rassemblement national est arrivé largement en tête, toutes les études d’opinion réalisées pendant cette campagne législative éclair pointent le risque que la dissolution surprise décidée par Emmanuel Macron ouvre les portes de Matignon à Jordan Bardella. Il faut tout faire pour éviter cette perspective. Et ce sans attendre le second tour.

Une bonne partie de la planète, et certainement la majorité des pays de l’Union européenne, voit arriver le scénario d’une France dirigée par l’extrême droite avec angoisse. Car même si elle a perdu de son influence et de sa puissance, la France, patrie des droits de l’homme et des Lumières, conserve une place à part dans le concert des nations. Qu’elle s’aventure sur le même chemin populiste qu’ont emprunté les Etats-Unis, le Brésil, la Hongrie ou l’Italie serait un séisme au-delà de nos frontières. La proximité de l’extrême droite avec la Russie aurait par exemple des conséquences majeures sur l’avenir de l’Ukraine, que Vladimir Poutine a voulu envahir parce que ses citoyens, épris de liberté, regardent vers l’Europe avec trop de désir et d’insistance. L’Europe justement : l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en France aurait des conséquences dévastatrices sur le projet européen. Même si le RN ne prône plus officiellement une sortie de l’UE ou de l’euro, son ADN est viscéralement nationaliste et antieuropéen. Or la France, pour régler ses difficultés, a besoin de plus d’Europe, certainement pas de se replier sur elle-même.

Dangereux

Sur le plan intérieur, une extrême droite aux responsabilités serait une catastrophe démocratique, économique, sociale, écologique et sociétale. Pour s’en prémunir, il faut tordre le bras à l’argument maintes fois entendu qu’après tout, le RN, à l’inverse de toutes les autres formations politiques, «on ne l’a pas encore essayé». L’extrême droite ne s’essaye pas. Outre qu’il faut se méfier du populisme et de cette tendance au «dégagisme» chère à nombre d’électeurs, donner sa chance au RN reviendrait à exposer des catégories entières de la population, les minorités ethniques, religieuses, sexuelles, ou les catégories populaires, à des risques réels. L’extrême droite ne s’essaye pas, elle s’installe. L’Amérique par exemple s’est-elle débarrassée de Trump après l’avoir essayé ? Non. La démocratie américaine, qui a vacillé lors de la dernière élection présidentielle avec l’assaut du Capitole par les partisans les plus radicalisés de Donald Trump, est-elle menacée par son possible retour aux affaires ? Oui. En France, certains font le pari que le RN se montrerait rapidement incapable de gérer le pays, tant son programme est inconséquent. Le risque de l’essayer serait donc minime, car temporaire. Ce pari est dangereux. On sait aujourd’hui que l’extrême droite peut arriver au pouvoir. On ne sait pas quand elle le quitterait.

L’autre argument avancé pour s’autoriser à baisser la garde face à l’extrême droite est l’entreprise de dédiabolisation menée depuis des années par Marine Le Pen et le RN, avec l’aide de puissants relais médiatiques et du Président lui-même. Si l’idée s’est indéniablement installée dans le débat public, elle n’en demeure pas moins fausse. Le RN version 2024 n’est toujours pas un parti comme les autres. Il reste un parti qui prône la préférence nationale, cible les étrangers, s’en prend aux binationaux, veut revenir sur le droit du sol. Il continue donc d’être un parti raciste et antisémite. Libération a documenté le profil ouvertement xénophobe de dizaines de ses candidats. Et les propos, actes et agressions racistes se sont dangereusement multipliés ces derniers jours. Un triste avant goût d’une parole et de comportements qui déjà se libèrent.

Remparts

Il est de bon ton depuis quelques années de dire que la gauche se fourvoie en menant le combat contre l’extrême droite sur le terrain moral. Drôle d’argument qui consiste à dire qu’il faudrait commencer par renoncer à ses valeurs, à la devise républicaine d’égalité et de fraternité, pour mieux s’opposer aux risques de l’extrême droite ! C’est le contraire qu’il faut faire, tant ces valeurs sont des remparts qui protègent des pans entiers – l’éducation et la culture par exemple – d’une société ouverte et progressiste comme la nôtre. Il faut donc plus que jamais porter haut ce combat moral.

Mais la preuve est désormais faite, vu la progression constante du RN, que cela ne suffit plus. L’extrême droite est là, puissante, elle doit aussi se combattre plus classiquement sur le terrain politique des propositions économiques, sociales et écologiques susceptibles de réduire les inégalités. C’est le terreau principal de la poussée de l’extrême droite. C’était le terrain naturel de la gauche. Elle doit le retrouver. Il est inutile de se leurrer, la gauche unie n’aura pas en ces quinze jours de campagne, par la magie d’un accord par ailleurs plus électoral que programmatique, retrouvé l’écoute des classes populaires ou moyennes séduites par l’extrême droite. La gauche s’est aussi abîmée, et c’est la faute incompréhensible d’un Jean-Luc Mélenchon, sur le terrain des valeurs et de la lutte contre l’antisémitisme. Mais si elle se remet à marcher sur ses deux jambes – revendication de ses valeurs et propositions crédibles de rupture sur le terrain économique, social et écologique, elle reste, dès ce premier tour, le meilleur rempart contre l’extrême droite.