C’est une enquête journalistique aux révélations sidérantes, fruit d’efforts de plusieurs mois, que Libération a commencé à publier jeudi. Relatant sobrement le témoignage d’Inès Chatin, qui a déposé plainte pour dénoncer les crimes sexuels commis pendant des années par un groupe d’intellectuels parisiens sur des enfants, cette histoire débute avec des noms, parmi lesquels deux patrons de presse, l’un d’entre eux idole des conservateurs et membre de l’Académie française, des écrivains et des artistes ; et cette histoire se poursuit avec des victimes, dont l’une aujourd’hui âgée de 50 ans a accepté de nous livrer son terrible récit à visage découvert.
Enquête
Mais cette histoire a aussi un lieu, le triangle du VIIe arrondissement de Paris où le pouvoir politique, culturel et médiatique régnait dans une totale impunité. «Jusqu’au dernier moment, j’ai pensé ne pas y arriver», nous dit Inès Chatin de son audition, qui fait aujourd’hui partie d’un dossier judiciaire de centaines de pages documentant l’univers pédocriminel de la rue du Bac, dans un somptueux appartement acheté à la famille d’Ormesson par le docteur Jean-François Lemaire, l’homme qui livra entre autres ses enfants adoptifs, dans des séances sordides dont la mise en scène cauchemardesque n’a d’égal que l’infâme sadisme, à l’écrivain Gabriel Matzneff et ses amis. «Si l’adolescent sait qu’il se soumet à des règles condamnées par la société mais qui apportent finalement une certaine jouissance, euh pourquoi pas ?» expliquera froidement le docteur Lemaire à sa fille adoptive, que Matzneff surnommait «ma petite chose exotique». Eu égard à l’extrême violence des scènes rapportées par Inès Chatin, il a été convenu, avec elle et ses avocats, de ne pas en rapporter certaines à la première personne du singulier. Libération publiera donc dans les jours à venir son récit, et s’appuiera sur le dossier judiciaire, pour raconter ces faits glaçants qui témoignent de la cruauté de ces hommes de pouvoir, et du courage de la femme qui leur a survécu. Et qui parle aujourd’hui.