Il n’est pas si lointain, à peine trente ans, ce temps où les Européens s’employaient à récolter les «dividendes de la paix». Le mur de Berlin venait de tomber, la «guerre des étoiles» lancée par le président américain Ronald Reagan avait asséché les capacités industrielles des Soviétiques et la perspective de voir des chars russes déferler sur l’Europe de l’Ouest semblait s’éloigner pour toujours. L’Armée rouge avait le blues et les industriels de l’armement européens entamaient une restructuration drastique, les plus gros absorbant les plus petits. Tout cela nous semble aujourd’hui remonter à un siècle.
Pendant que les Européens baissaient la garde, se concentrant sur les ventes d’armes hors du continent pour compenser la baisse des crédits militaires, assurés de pouvoir compter sur l’allié américain en cas de malheur, la Russie reconstituait son arsenal et redevenait une véritable menace pour l’Europe. L’invasion de l’Ukraine par les chars russes a sonné le glas des espoirs des pacifistes : les budgets de Défense sont remontés en flèche et les industriels de l’armement ont recommencé à engranger commande sur commande, peinant à accélérer les rythmes de production afin de satisfaire à la fois les besoins nationaux et les Etats sur le pied de guerre.
Pourtant, malgré la multiplication des menaces, les Européens restent divisés sur la constitution d’une véritable défense européenne, la campagne en cours le montre bien. De nombreux sujets restent clivants, du partage de l’arme nucléaire française à la constitution d’un bouclier antimissiles en passant par l’envoi de troupes au sol en Ukraine, sans compter les éternelles rivalités entre industriels de l’armement eux-mêmes. «L’Europe est mortelle», a mis en garde Emmanuel Macron il y a quelques semaines. Par un incroyable carambolage de l’histoire, ce constat s’impose alors que l’on s’apprête à célébrer en grande pompe le 80e anniversaire du débarquement allié en Normandie qui avait permis de ramener la paix sur le continent.