On a tous croisé, à un moment ou à un autre de notre vie, le regard dur et fier d‘un de ces damnés de la Terre que Sebastião Salgado savait capter et transmettre comme personne. Ou ces silhouettes décharnées, enduites de boue ou de pétrole, ployant sous le joug physique et psychique d‘une machine humaine implacable, fuyant la misère ou les guerres que le photographe franco-brésilien n’avait pas hésité à suivre, sur le terrain, pour mieux en retranscrire la violence crue. Certains lui ont reproché cet esthétisme de la misère, comme ils disaient, à leurs yeux indécent, mais le plus important n’est-il pas que le cliché s’imprime à jamais sur la rétine, qu’il vous trouble et vous dérange ?
Sebastião Salgado est mort, et soudain il manque déjà à l’heure où la planète se déchire. Car autant son regard sur l’homme était tragique et sombre («On est un animal très féroce, nous les humains», disait-il), autant sa perception de la nature était vibrante de vie et de lumière. Pour lui, les plantes et les arbres étaient des êtres vivants capables, si on les accompagnait sans faillir, de se régénérer et de faire la nique aux bulldozers et autres tronçonneuses destinées à transformer une terre sauvage en terres exploitables par l’homme. Son projet Instituto Terra visant à redonner vie à sa région native du Minas Gerais, au sud-est du Brésil, est un modèle du genre. De terres brûlées et bouffées par l’érosion, il est parvenu à faire un petit paradis verdoyant en replantant, année après année, plus de 2,7 millions d‘arbres.
Dans un pays traumatisé par l’ère Bolsonaro, qui s’est traduit par une déforestation massive, il y a là de quoi transmettre un peu d‘espoir. C’est là l’immense héritage que nous laisse Salgado alors que la nature a rarement été aussi attaquée par l’homme. Après avoir documenté la mort et la douleur, dans ce noir et blanc qui constituait sa marque, il a choisi d‘honorer la force de la vie, cheminement peu banal. Il sera sans nul doute célébré à sa juste valeur lors de la prochaine Conférence sur les changements climatiques, la COP 30, qui se tiendra en novembre à Belém, dans le nord du Brésil.