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Libération
L'édito d'Alexandra Schwartzbrod

Mario Vargas Llosa, dernier eldorado

Monument des lettres sud-américaines, le Nobel de littérature 2010 au parcours intellectuel sinueux est mort dimanche à 89 ans.
Mario Vargas Llosa à Madrid en 2017. (Christopher Anderson/Magnum Photos)
publié le 14 avril 2025 à 20h22

C’est grâce à la France, qui avait découvert la littérature latino-américaine avant lui, que Mario Vargas Llosa a compris, en arrivant à Paris à la fin des années 50, cette autre facette de l’Amérique latine que sont «l’horrible héritage des putschs militaires et du sous-développement, la guérilla et les rêves de libération». Et c’est donc grâce à la France, déclara-t-il en février 2023 dans son discours d’intronisation à l’Académie française, qu’il a «commencé à [se] sentir un écrivain péruvien et latino-américain», avec toute la charge politique, combative et romanesque que cela suppose. Ce n’est pas un hasard si Jean-Paul Sartre fut, un temps, l’écrivain à qui il disait devoir le plus. C’était l’époque où Mario Vargas Llosa était un intellectuel engagé à gauche, précisément en réaction aux ravages causés par les dictatures militaires. Engagement qui bascula quelque temps plus tard dans l’autre sens au vu, notamment, des dérives du pouvoir de Fidel Castro à Cuba, dérives qui l’ont poussé à brûler ce qu’il avait adoré, grand classique.

Les admirateurs de l’homme littéraire qu’il était ont beaucoup de mal à critiquer le positionnement de l’homme politique qu’il était devenu, capable de soutenir au Pérou toute personnalité se présentant contre la gauche, fût-elle d’extrême droite. C’est sans doute que cet auteur biberonné à la poésie durant son enfance, auteur d’une œuvre gigantesque à 50 ans à peine, avait une véritable passion pour la littérature qui se confondait pour lui avec la vie – n’est-il pas tombé amoureux fou, à sa seule lecture, de Madame Bovary à qui il consacra son premier essai en 1975 ? «La fiction est un mensonge qui recouvre une vérité profonde», écrivait-il en 2000 dans Lettres à un jeune romancier. Dès 2001 d’ailleurs, il alertait sur les dangers que représentait l’essor à venir des écrans et réseaux sociaux pour la lecture, «cette source dispensatrice d’imagination et d’insatisfaction, qui nous rend plus libres et nos vies plus riches et plus intenses». Faut-il séparer l’écrivain du sympathisant politique ? La question mérite bien sûr d’être posée. Avant d’y répondre, il est important de lire ou relire l’œuvre de cet homme qui plaçait la littérature au-dessus de toute autre considération.