Nos confrères de Mediapart doivent régulièrement se défendre des accusations leur prêtant une dépendance accentuée auprès de Xavier Niel, homme d’affaires bien connu et actionnaire principal du journal le Monde. La source de ces rumeurs infondées est leur acceptation, quand la survie de Mediapart était loin d’être acquise, de deux levées de fonds de Niel au sein d’une «Société des amis de Mediapart». C’était en 2008, et ce n’est que onze ans plus tard que le média, fort de sa réussite financière, a racheté les actions de ses «amis».
Nous n’avons jamais souscrit à l’hypothèse malveillante selon laquelle la participation de Xavier Niel au capital de Mediapart influencerait ses contenus journalistiques. Au contraire, nous avons maintes fois affirmé que ses journalistes et sa direction (comme ceux du Monde) se battent avec courage et intégrité pour obtenir des actionnaires toutes les garanties d’indépendance qu’il est possible d’obtenir, en premier lieu des statuts légaux protégeant cette indépendance.
Nous n’aurions pas dû, apparemment. Dans un article à charge publié vendredi par Mediapart, notre consœur Martine Orange met en doute notre indépendance et notre travail. La raison : Libé a obtenu cette semaine un prêt de 14 millions d’euros de l’homme d’affaires Daniel Kretinsky, patron de CMI et actionnaire minoritaire du Monde. Comme annoncé immédiatement, cet apport ne consiste pas en une obligation convertible en actions et Daniel Kretinsky n’a donc aucun droit sur notre capital. Il apporte de l’oxygène immédiat tout en n’ayant aucune entrée et beaucoup moins d’influence sur Libé que n’en a eu Xavier Niel sur Mediapart, c’est-à-dire moins que zéro. Mediapart aurait-il préféré voir Libé au tribunal de commerce ? Son article laisse traîner une sombre prophétie quant à notre capacité de rendre cette somme dans quatre ans, ignorant apparemment tout du système du refinancement de prêts, que Mediapart a pourtant utilisé plus d’une fois quand il était dans la même situation.
Qu’on en juge. «En devenant le bailleur de fonds de Libération, tout devient différent : il change de catégorie. Il se hisse désormais au niveau de la poignée de milliardaires qui font la pluie et le beau temps dans les médias, tout en récoltant des millions de subventions et d’aides à la presse auprès de l’Etat, sans parler désormais des financements Google. Il devient un homme qui compte», écrit Mediapart de Daniel Kretinsky, cumulant quatre contre-vérités en un paragraphe : Daniel Kretinsky ne fait pas la pluie et le beau temps à Libération, il n’y récolte aucune subvention et aucun mystérieux financement Google, il ne change pas de catégorie et ne devient pas un homme qui compte puisqu’il l’est déjà, en tant qu’actionnaire du Monde et de TF1.
Ce n’est bien sûr pas la première fois que Mediapart s’en prend injustement à un journal de gauche. Mais c’est sans doute la première fois que cette attaque en règle intervient dans un contexte de démarchage commercial. Publié ce week-end en accès libre, sous le titre subtil «Le milliardaire Kretinsky passe la corde au cou de Libération», l’article a été relayé assidûment par Mediapart et son directeur pour promouvoir une opération commerciale du titre destinée à conquérir de nouveaux abonnés. Il intervient alors que Libération connaît une progression spectaculaire de ses ventes et une réduction significative de ses pertes.
Martine Orange n’a pas contacté la rédaction de Libération afin d’obtenir une réaction à ses assertions trompeuses et ne présente aucun contradictoire. C’est d’ailleurs la règle dans presque tous les articles sur notre journal dans ce média en ligne se présentant volontiers comme maître de déontologie. Quelle en est la raison ? D’où la question, qui veut véritablement «passer la corde au cou de Libération» ?
Peu importe car de toute façon, personne n’y réussira : nous avons toute intention de poursuivre sur notre lancée et de continuer à agrandir notre rédaction, qui compte déjà deux fois plus de journalistes en CDI que Mediapart, et notre lectorat payant, qui représente pour l’instant la moitié de celui du pure-player. Mais ce faisant, et à l’aube de notre 50e anniversaire, nous souhaitons longue vie à Mediapart et à tous ceux que nous considérons, malgré tout, comme nos confrères.