Il y a bientôt vingt ans, le 4 mars 2002, le Parlement votait solennellement la prohibition de la prostitution des mineurs sur le territoire de la République. Depuis, les services publics assistent à une véritable explosion du nombre de jeunes adolescentes, de toutes les couches sociales françaises, vendant leur corps à des inconnus sur Internet. Il y a probablement plus de prostituées mineures dans la France d’aujourd’hui qu’au XIXe siècle, à l’époque des maisons closes, des bals musettes et de la misère des ouvrières à l’atelier. En novembre, le plan national de lutte avançait le chiffre de 10 000 mineurs concernés dans l’Hexagone ; il est probablement sous-estimé. En cause, l’extrême facilité du basculement de ces mineures – car il s’agit avant tout de filles. Il suffit parfois d’un incident perturbateur à l’école pour qu’elles basculent dans cet enfer, une nouvelle forme d’esclavage moderne gérée par des proxénètes bien loin du profil historique du souteneur. Car ce sont le plus souvent de jeunes délinquants ayant quitté le trafic de drogue pour vendre leurs copines, trafic encore plus lucratif et bien moins risqué. Des dizaines de poursuites de proxénètes sur mineurs dans les parquets de Paris, Bobigny, Créteil, Evry et Meaux, par exemple, n’ont eu aucun effet sur ce fléau.
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Alors, à qui la faute ? Il est évident que les confinements successifs ont fait reculer la prostitution de rue mais ont donné des ailes au proxénétisme caché, qui est l’apanage du trafic de mineurs. Malgré les efforts gouvernementaux et associatifs de plus en plus conséquents ces dernières années, il est difficile de lutter contre le déni de beaucoup de ces nouvelles « travailleuses du sexe » : elles ne veulent pas entendre qu’elles sont en danger, moral et physique. Nous avons justement voulu les entendre ; les témoignages que nous avons recueillis n’offrent pas de solution évidente, mais soulignent que seul le dialogue constant avec des adolescentes en situation psychologique difficile pourrait enclencher le combat contre ce fléau, véritable honte de notre société.