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Libération
L'édito d'Alexandra Schwartzbrod

Mort de Bernard Pivot, l’épilogue d’une époque

Le présentateur d’«Apostrophes» et de la célèbre dictée est mort lundi à 89 ans. Avec sa bonhommie et son amour du bon mot, il incarnait à lui seul les débuts de la télévision du spectacle.
Bernard Pivot en 1987. (Sergio Gaudenti/Sygma via Getty Images)
publié le 6 mai 2024 à 21h18

Avec la mort de Bernard Pivot disparaît l’époque du livre-spectacle. Le livre comme occasion de faire des coups, de créer des moments de télévision quitte à frôler, et parfois dépasser la ligne rouge. On a tous et toutes en tête, même les plus jeunes, des souvenirs de son émission culte, Apostrophes : Alexandre Soljenitsyne racontant son expérience du goulag ; Denise Bombardier osant s’attaquer à Gabriel Matzneff ; Charles Bukowski titubant ivre mort sur le plateau ou même le linguiste Claude Hagège devenant célèbre en un simple passage dans l’émission face à Raymond Devos. Il s’agissait de faire le buzz (même si on ne le formulait pas ainsi) bien plus que de parler littérature et ça marchait à chaque fois ou presque.

On s’installait devant le petit écran le vendredi soir comme l’on se cale dans un fauteuil d’orchestre au théâtre, attendant religieusement que le rideau se lève et que le spectacle commence. La télévision ne comptait en ce temps-là que quelques chaînes et les réseaux sociaux n’existaient pas. Et surtout Bernard Pivot était un bateleur : plus que la gourmandise du mot, il avait celle du bon mot, celui qui reste, qui fait rire ou qui choque. Avec son côté bonhomme et bon vivant, fumeur de pipe, dingue de foot et amateur de bon vin, il était l’oncle lointain qui anime le déjeuner du dimanche entre bœuf en daube et Saint-Honoré dégoulinant de chantilly.

Quoi que… nombre de propos encensés ou entendus dans Apostrophes ne seraient plus audibles aujourd’hui, les temps ont changé et Bernard Pivot, ces dernières années, n’a pas toujours semblé s’en être aperçu. Plus encore que sa culture, c’est son humour qui restera, comme en témoignent ces quelques mots qu’il nous adressa un jour où Libération voulut faire son portrait, c’est cet humour qui lui attacha tant de fans, en France mais aussi à l’étranger, d’où l’on envoyait des reporters pour essayer de comprendre quel était son secret, comment il parvenait à faire d’une émission littéraire un tel succès populaire. Avec ses qualités et ses défauts, le secret, c’était lui et rien d’autre.