Oublié, Pierre le Grand, empereur de toutes les Russies, premier leader absolu, bâtisseur de l’empire ; abandonné, le tsar Nicolas Ier, ennemi juré de l’Occident dont la statue trône devant la fameuse table interminable où on installe Emmanuel Macron ; négligée, la Bataille de Poltava (1709), pourtant encore mise en avant il y a un an à peine comme preuve de la résilience des soldats russes ; délaissée, l’annexion de la Crimée (1783) par l’impératrice Catherine II, prouvant la vacuité du droit des nations voisines à se défendre. Toutes les preuves présentées par Vladimir Poutine de la grandeur historique de la Russie, tant rabâchées à son peuple et au monde, ont maintenant été remisées au placard.
Dans sa première intervention télévisée après la folle marche sur Moscou de Evgueni Prigojine et de ses hommes, le chef du Kremlin a brandi un événement dramatiquement différent, baptisé simplement «1917». Pourquoi cette année-là ? «Poutine a toujours eu très conscience de l’importance de la place de la guerre civile russe, entre 1917 et 1921, dans la mémoire collective. C’est une mémoire très puissante», nous explique le grand historien britannique Antony Beevor. Pour Beevor, Poutine reprend l’idéologie des Russes blancs, avec une Sainte Russie orthodoxe et un empire slave, qui s’étend de Vladivostok à Lisbonne. Ressusciter cet empire suppose de se méfier des agitateurs charismatiques comme Prigojine qui ont déjà mené la Russie à une guerre civile ensanglantée. Mais Poutine lui-même, ne faut-il pas se méfier de lui ? «Ces événements ont démontré à quel point la société se consolide autour du Président», a déclaré le porte-parole du Kremlin, démontrant que chez tous les dictateurs, tout va bien jusqu’au moment où rien ne va plus. «Le simple fait d’évoquer le risque d’une guerre civile dans son discours revient à admettre que ce risque existe. Et c’est en soi un incroyable aveu de faiblesse», rappelle Beevor. Indéniablement, Pierre le Grand était un modèle difficile à suivre.