Les salarié·e·s de Libération ont pris connaissance, mardi 20 septembre, de la signature, par le directeur général et cogérant du journal Denis Olivennes, d’un accord de prêt avec des sociétés contrôlées par Daniel Kretinsky. Le milliardaire tchèque, qui a fait fortune dans les énergies fossiles, devrait prêter jusqu’à 14 millions d’euros au journal.
Depuis deux ans et la cession de Libération à un fonds de dotation par le groupe Altice, nous n’avons eu de cesse d’alerter le directeur général et cogérant sur les besoins de financement du journal. Certes, sa dynamique éditoriale et commerciale depuis 2018 est le résultat direct des moyens qui lui ont été donnés et du travail accompli par la rédaction et l’ensemble des collaborateurs·rices. Mais la poursuite de cette trajectoire, qui doit permettre de revenir à l’équilibre économique d’ici quelques années et ainsi de conforter l’indépendance de Libé, suppose de nouveaux investissements dans ses capacités éditoriales, techniques et commerciales.
Nous constatons que cet accord financier ne change pas l’architecture juridique de Libé, toujours détenu par un fonds de dotation qui a vocation à garantir son indépendance. Cette dernière est un impératif, un enjeu de crédibilité et une question de valeur économique : un journal qui n’est pas indépendant et perçu comme tel n’a aucun avenir durable.
Communiqué
Nous ne sommes cependant pas dupes. Même si l’accord signé avec Daniel Kretinsky ne prévoit pas qu’il puisse convertir son prêt en actions, il est impossible d’écarter la possibilité qu’il entre un jour au capital de Libération. Si une telle hypothèse venait à se réaliser, cela serait contraire à la préservation de l’image de marque de Libé, donc à son intérêt. Lors d’une rencontre avec les élu·e·s du personnel le 21 septembre, Daniel Kretinsky a indiqué qu’il «n’envisageait pas d’être actionnaire» du journal, qu’il ne voulait pas «créer l’impression de vouloir de l’influence» et que c’était «plus sain» de procéder à un simple prêt. Nous nous réjouissons de partager sa vision sur ce point et nous serons attentifs à ce que les termes de ce contrat moral ne varient pas à l’avenir.
Lors de cette même rencontre, Daniel Kretinsky a expliqué qu’il souhaitait soutenir le redressement manifeste de Libé car l’existence de ce journal dans le débat public était «nécessaire pour le pluralisme de la presse en France». Nous ne pouvons qu’être d’accord avec lui.
Des discussions sont en cours depuis de trop longs mois entre la direction générale et la Société des journalistes et du personnel, qui visent à renforcer les droits des salariés de Libé dans la conduite de l’entreprise et du journal. Nous mettrons tout en œuvre pour qu’elles aboutissent au plus vite. De même, nous demandons à nouveau que la rédaction soit représentée au conseil d’administration du fonds de dotation qui détient Libé et au sein duquel Daniel Kretinsky vient d’obtenir un siège. Toute action confortant l’indépendance du journal est positive dans le climat général de défiance qui menace l’existence de la presse.
Ainsi, nous continuerons de produire des reportages, des enquêtes, des portraits, des analyses en toute indépendance sur les combats qui nous sont chers : la protection de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique, la justice sociale et fiscale, la lutte contre les inégalités et les prédations financières. Comme nous le faisons depuis près de cinquante ans, quels que soient les aléas dans la vie économique du journal.