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Libération
L'édito de Lauren Provost

Pour Eric Dupond-Moretti, un retour peu reluisant dans le prétoire

Jugé à partir de ce lundi 6 novembre pour «prises illégales d’intérêts», soupçonné d’avoir profité de son poste de ministre pour régler ses comptes, le garde des Sceaux donne aux Français une bien piètre image de la Justice.
Eric Dupond-Moretti au Sénat, en juillet 2020. (Denis Allard/Libération)
publié le 5 novembre 2023 à 20h18

Chahuté lors de sa première prise de parole à l’Assemblée nationale, le nouveau ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, rétorquait : «On ne juge pas des hommes sur des a priori. Vous me jugerez sur ce que j’ai fait, quand je l’aurais fait.» Qui pouvait alors imaginer que le garde des Sceaux serait effectivement renvoyé devant la Cour de justice de la République ? A compter de ce lundi 6 novembre, ce dernier comparaît pour «prises illégales d’intérêts» devant l’unique juridiction de France habilitée à juger les crimes et délits commis par des membres du gouvernement pendant l’exercice de leurs fonctions. Le natif de Maubeuge, fils d’un métallurgiste et d’une femme de ménage d’origine italienne, continue d’écrire sa légende : avocat pénaliste star, comédien au théâtre de la Madeleine, acteur pour Lelouch, ministre aux sorties parfois très limites, dernier rescapé de la société civile en macronie… A cet incroyable CV vient désormais s’ajouter «garde des Sceaux et prévenu en même temps». Inédit.

Si la guerre au Proche-Orient éclipse quelque peu l’événement, ce procès est plus qu’explosif. Politiquement, il entérine le fait qu’aujourd’hui les mises en examen de ministres sont si banales que ces derniers ne prennent plus la peine de démissionner, ni même de se faire remplacer pour assurer leur défense. Se mettre en retrait ? Pas question pour l’infatigable «Dupond» soutenu par Emmanuel Macron. Mais c’est la justice qui prendra des coups dans cette bataille entre un avocat-ministre et les magistrats. Leur franche inimitié atteint ici son paroxysme puisque le locataire de la place Vendôme est accusé d’avoir utilisé son maroquin pour régler ses comptes avec des magistrats ennemis dans son ancienne vie. Pendant deux semaines, la justice et ses rouages seront auscultés. On déballera probablement ce qu’il y a de plus politique et de moins reluisant dans tout cela. A l’image de la CJR, sous le feu des critiques pour son mélange de magistrats et de parlementaires et ses possibles conflits d’intérêts. Celui qui souhaite ouvrir les prétoires aux caméras et montrer aux Français comment «notre justice fonctionne» leur offre là un bien triste spectacle.