Menu
Libération
Edito

Pour la gauche, le plaisir par la réinvention?

Gauche 2022 : le grand embouteillagedossier
Plutôt que courir derrière les grandes émotions des luttes passées, et face aux défis actuels, la gauche pourrait retrouver de l’allant et du plaisir en imaginant une société nouvelle.
En août 2013. (Nicola Messyasz/Hans Lucas)
publié le 28 janvier 2022 à 21h05

Comment réassocier gauche et plaisir ? Le sujet est casse-gueule mais passionnant. Et pile dans l’air de ce temps couvert qui peine à offrir des lueurs d’espoir. Le plaisir, oui, mais lequel ? Celui que l’on pouvait ressentir lors des grands mouvements populaires qui ont abouti à l’instauration des congés payés, du temps enfin à soi, des déjeuners sur l’herbe au bord de la Marne, des bals musettes ? Le plaisir du collectif de mai 68 quand le mot d’ordre était de jouir sans entrave ? Ou même le plaisir des grandes manifs de ces dernières décennies pour défendre en chœur l’école publique, le droit à l’avortement, le mariage pour tous ? Il est sans doute là le piège : la nostalgie d’une époque qui n’a plus rien à voir avec la nôtre, plombée par la catastrophe climatique, l’angoisse sanitaire, les risques de guerre aux portes de l’Europe, et le creusement des inégalités économiques et sociales.

Et si la promesse de plaisir, justement, était dans la réinvention ? On a tout cassé, il faut tout remonter, pièce après pièce, il est là l’enjeu et possiblement le plaisir : imaginer une société nouvelle qui éloigne le mur climatique en remettant du sens dans nos vies, réinventer les relations amoureuses à l’heure de #MeToo, réenchanter le collectif, sans invectives ni chausse-trappes. Facile à dire, certes, mais au moins c’est un projet. Voire un énorme défi s’il s’agit de mettre du désir dans la sobriété. Car, oui, la surconsommation, l’individualisme, la réussite personnelle, des «plaisirs» chers à la droite, finissent par nous étouffer et nous éloigner les uns les autres. Le philosophe Michaël Fœssel, qui vient de publier Quartier rouge, le plaisir et la gauche, nous pousse à phosphorer sur le sujet mais n’imaginait sans doute pas que son livre paraîtrait alors que la gauche, désunie, démonétisée, inaudible, comme vide de projets et d’ambition, ne parvient plus à faire rêver. Il faut le prendre comme un signal d’alerte, la gauche mérite mieux que le suicide collectif actuel. Renouer avec le plaisir commencera pour elle par… ce travail de réflexion.