Menu
Libération
L'édito d'Alexandra Schwartzbrod

Procès des viols de Mazan : derrière l’horreur, les questions

Banalité du mal, consentement conjugal, négligence médicale… Derrière l’histoire terrifiante de Gisèle P., droguée pendant neuf ans par son mari puis violée par des hommes qu’il recrutait, se posent des questions philosophiques, sociétales et médicales.

Jeudi à Mazan, lors d'une session de collages féministes liés à l'affaire. (Patrick Gherdoussi/Libération)
Publié le 01/09/2024 à 20h51

Le procès qui s’ouvre ce lundi 2 septembre à Avignon pose un abîme de questions, toutes plus vertigineuses les unes que les autres : philosophiques, sociétales et médicales. Une femme va être confrontée à plusieurs dizaines d’hommes – nous avons bien écrit plusieurs dizaines – qui, pendant neuf ans et à intervalles réguliers, l’ont violée à l’invitation et sous le regard de son mari qui l’avait préalablement droguée afin qu’elle n’ait aucune conscience ni aucun souvenir de ce qu’il lui faisait subir. Des hommes «banals» dans le sens où très peu avaient été repérés par la justice ou par la société, de «bons pères de famille» comme on dit, de tous âges et de tous milieux sociaux, impossible donc de déterminer un profil type.

On pense aussitôt à la banalité du mal car beaucoup de ces hommes, si l’on en croit leurs témoignages, ne voyaient pas où était le problème puisque le mari était d’accord. Cela met en relief l’impensé terrible autour de la notion de viol conjugal qu’un grand nombre d’hommes ne parviennent toujours pas à comprendre. Comme si, à partir du moment où elle était mariée, une femme se devait d’être à la disposition sexuelle de son mari. Il y a là un énorme problème d’éducation qu’il faut résoudre à tout prix.

Enfin, il paraît incompréhensible que les médecins qui n’ont cessé, année après année, de recevoir cette femme pour des consultations gynécologiques, neurologiques ou autres n’aient à aucun moment décelé la moindre anomalie. Il s’agit cette fois d’un problème de formation qui doit être pris en compte. Les médecins sont là aussi pour repérer la souffrance psychique et les phénomènes d’emprise, et aussi identifier une possible soumission chimique. Celle-ci est devenue un enjeu de santé publique sans que les soignants y soient davantage sensibilisés. Ce procès ne fait que commencer, il va être insoutenable pour Gisèle P. qui va découvrir les visages de tous ceux qui ont abusé d’elle. Il faut espérer que ce supplice puisse au moins permettre d’être utile à d’autres femmes.