Il serait tentant de relativiser les conséquences de la réélection claire et indiscutable de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, reconnue tardivement par sa rivale mercredi 6 novembre. Tentant, mais irresponsable, car il est évident que Trump fera exactement ce qu’il a juré de faire, à commencer par poursuivre par les énormes moyens mis maintenant à sa disposition tous ses «ennemis» – procureurs trop zélés, républicains trop honnêtes, témoins trop gênants, victimes qui avaient eu l’impudence de déposer plainte contre lui.
Par deux fois maintenant, le peuple américain a eu l’occasion d‘élire une femme au poste le plus élevé et le plus puissant de la nation, sinon du monde ; et par deux fois maintenant, ils lui ont préféré Donald Trump. Il serait tentant de mettre en avant les faiblesses de Kamala Harris, comme on a pu le faire pour expliquer la défaite d’Hillary Clinton, mais ce serait de l’aveuglement. Il serait tentant de décréter que 50 % des Américains sont des abrutis, mais ce serait désinvolte. Enfin, il serait tentant de voir en cette réélection un second volet d’un épisode déjà vécu et bien limité par les garde-fous démocratiques et par l’amateurisme politique du président-élu, mais ce serait inconscient.
La vérité, malheureusement, est bien plus grave. Le populisme de Trump a convaincu dans 90 % des comtés américains, où il a progressé dans pratiquement toutes les couches de la société, d’après les premières analyses pour les comtés où les résultats sont disponibles, qui restent à confirmer. Si son socle est toujours la population blanche peu éduquée, le vote Trump a aussi largement progressé chez les noirs et les latinos, alors même qu’il déversait des horreurs racistes précisément sur ces populations. Il a progressé chez les jeunes, chez les retraités, chez les diplômés, chez les habitants des grandes villes, en milieu rural, dans les banlieues, et n’a reculé par rapport à sa performance de 2020 que dans une catégorie : les femmes blanches multidiplômées des grandes villes.
Récit
Pourquoi ? Simplement parce que tous ces gens adhèrent aux priorités définies par Trump (violent protectionnisme économique, isolationnisme géopolitique, expulsions massives de migrants), et ne se sont pas retrouvés dans celles définies par les démocrates (justice, climat, droits des femmes et économie de marché). Alors oui, préférer les priorités du candidat des républicains passait forcément par un vote pour un criminel condamné, misogyne, raciste, égocentrique, menteur et probablement dérangé. Soit les électeurs n’ont pas pris au sérieux ces accusations, soit ils en étaient parfaitement conscients mais ils s’en fichent.
Rappelons qu’en juillet, la Cour suprême des Etats-Unis a déjà donné à Trump l’équivalent du totem de Koh-Lanta en jugeant qu’un président bénéficie d’une immunité totale pour toute action engagée pendant son mandat. Donald Trump contrôle donc maintenant la Maison Blanche, le Sénat, et il est tout à fait possible qu’il obtienne également la majorité à la Chambre des représentants, qui reste en suspens à l’heure où nous écrivons ces lignes. Ces pouvoirs incommensurables lui seront octroyés en janvier sans aucune limite morale ou légale, mais l’influence du scrutin se fera sentir bien avant.
Lors de son meeting de clôture la semaine dernière, Kamala Harris avait défini son rival en ces termes : «Ce n’est pas ce que nous sommes, ce n’est pas l’Amérique.» Mais il s’avère aujourd’hui que c’est exactement ce que nous sommes, et ce «nous» ne va malheureusement pas se limiter à l’Amérique.