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Libération
L'édito de Paul Quinio

Sur la route des Flandres, la quête de vérité des «bébés volés»

Pendant des décennies, sous la pression familiale, de jeunes Belges ont été contraintes d’accoucher sous X, en France, puis d’abandonner leur enfant, vendu à des parents adoptifs. Des récits de souffrance et d’omerta, de sentiments dissonants.
A la frontière franco-belge, à Gand, le 5 mars. (Albert Facelly/Libération)
publié le 20 mars 2024 à 20h35

C’est une histoire de petites routes de campagne à la frontière franco-belge que l’on emprunte pour éviter les douaniers. C’est une histoire de morale chrétienne. Une histoire de misères. Une histoire d’argent. Une histoire où se mélangent la honte et la douleur, celles d’adultes, celles d’enfants, celles d’enfants devenus adultes. Une histoire aussi où le mal et le bien se bagarrent au fil des gens, au fil du temps aussi. Car c’était un autre temps, les années 50, mais c’était hier aussi, puisque l’on parle quand même des années 80 voire 90. C’est une histoire de trafic d’enfants. Une histoire qui fait mal. Une histoire qui a fait du mal à des enfants arrachés sitôt nés à leur maman, en Belgique, pour être vendus et adoptés. Pour leur bien, disait-on à l’époque dans ces réseaux cathos penchés sur leurs berceaux. Et c’est vrai que le bien, l’amour, la tendresse étaient souvent, un peu, beaucoup, au rendez-vous de cette vie qui avait mal démarré. Parfois pas du tout.

A chacun son histoire. Mais, en fait, pas vraiment : elles se ressemblent incroyablement, ces histoires de prise en charge de bébés qu’il faut cacher pour mieux les recaser. Au point de départ, souvent, une relation adultérine, la peur du qu’en-dira-t-on, chut, ou pire, une relation non consentie, un viol, qu’il faut taire, cacher, enfouir. Honte et silence. Naissance sous X, drap tendu entre la mère et l’enfant en guise de frontière visuelle, cachez cet enfant que, paraît-il, m’a-t-on dit, m’a-t-on convaincu de dire, je ne saurai aimer ni élever. Frontière surtout perméable aux sentiments dissonants. Frontière impuissante face à l’épreuve du temps et au besoin de vérité charrié par les années qui passent. Car, au bout de l’histoire, c’est bien ce besoin de vérité qui surnage chez ces enfants détournés devenus grands. L’enquête de Libération pourrait contribuer à lever le secret. Mais les murs du silence sont épais et les routes de campagne toujours très sinueuses.