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Libération
L'édito de Dov Alfon

Syrie : les insoutenables preuves de la barbarie au grand jour

Des milliers de documents témoignant des exactions commises par l’ancien régime ont été découverts dans les prisons du pouvoir déchu. Autant de preuves essentielles à la construction d’une mémoire collective au sortir de trois décennies de dictature.
Dans les locaux des services de sûreté de l'Etat syrien à Soueïda, lieux d'archivages et de détention, les effigies d'Hafez al-Assad (à gauche) et Bachar al-Assad ont été abimées le 6 janvier, après la chute du régime. (Edouard Elias)
publié le 25 février 2025 à 20h52

Des petits papiers par millions. Ordres de torture, lettres de délation, formulaires d’aveux, listes interminables de noms, carnets de détenus, cahiers de surveillance, le tout daté, détaillé et signé par des centaines de fonctionnaires qui formaient l’organisation implacable de la répression de tout un peuple. Pendant les trois mois qui se sont écoulés depuis la chute du régime sanguinaire de Bachar al-Assad, notre journaliste a pu consulter des milliers de documents témoignant de l’existence d’une véritable bureaucratie de la mort, froide comme un couteau de boucher, méthodique comme une machine à briser, produisant quotidiennement pendant des années une description minutieuse de l’horreur.

Soigneusement classifiés d’étape en étape, de page en page et d’atrocité en atrocité, ces documents macabres étaient envoyés de prison à prison, de bureau en bureau, de tortionnaire en tortionnaire, témoins muets des crimes de guerre d’un tyran que nombreux en France soutenaient ouvertement. Pendant ce temps, là-bas, on faisait signer aux prisonniers des aveux comme celui-ci, qu’il faut lire en entier : «Je soussigné […] déclare, en pleine possession de mes moyens et sans contrainte, m’être électrocuté seul en touchant le fil électrique d’un chauffe-eau, et qu’il a fallu me frapper à plusieurs reprises avec un morceau de bois pour m’éviter l’électrocution. Je ne souhaite mener aucune poursuite judiciaire contre quiconque car personne n’est responsable de mes blessures.» La déclaration ce mardi des participants à la Conférence du dialogue national en Syrie, érigeant en priorité le renforcement de la liberté comme valeur suprême de la société syrienne, témoigne de la volonté de tout un peuple de se libérer d’une tyrannie implacable et ô combien documentée. Les obstacles qu’il reste à surmonter sont nombreux. Il faudra donc, dans des moments de découragement, garder en mémoire les petits papiers d’Assad pour mesurer l’ampleur du chemin déjà parcouru.