Certains ont échappé à la fusillade en fuyant immédiatement à travers la forêt ; d’autres ont fait le mort et ont réussi à ramper hors du camp entre les cadavres de leurs parents et amis ; mais bien peu de ceux présents ce jour-là à Srebrenica peuvent aujourd’hui raconter leur histoire. Trente ans après la pire exécution de masse en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, notre envoyé spécial a pu constater les ravages du massacre et de son déni sur la population, alors que le mandat d’arrêt international visant Milorad Dodik, le chef des Serbes de Bosnie et principal moteur politique du négationnisme, vient d’être levé. Les Bosniaques n’ont certainement pas oublié le prix Nobel de littérature accordé en 2019 à l’écrivain autrichien Peter Handke, grande plume des génocidaires Serbes, ni le silence du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, ni l’ambiguïté française autour du refus du général Bernard Janvier d’aider les Casques bleus néerlandais submergés par les troupes de Ratko Mladic. Et pour ceux qui voudraient tout oublier, un coup de téléphone soudain peut annoncer la découverte de restes humains identifiés comme appartenant à un proche, car des centaines de victimes sont toujours portées disparues.
En amont de ce jour anniversaire, portant tant de signes d’une injustice incommensurable, quelles leçons peut-on tirer de ce génocide ? Tout d’abord que les Etats ont depuis appris à éviter la lourde responsabilité de déclarer un génocide, mais aussi que l’ONU ne peut les remplacer pour éviter les prochains. Face à la zone sinistrée qu’est devenue Srebrenica, éteinte et épuisée, on peut se demander si les génocidaires n’ont pas gagné la partie. Alors que la justice bosnienne paraît aujourd’hui bien seule dans sa quête de vérité, il n’est peut-être pas trop tard pour reconnaître les responsabilités passées sous silence, au nom de milliers d’hommes, d’adolescents et d’enfants massacrés secrètement et systématiquement un beau jour de juillet 1995 à Srebrenica.