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Libération
L'édito d'Alexandra Schwartzbrod

Ukraine : les échanges de prisonniers, l’humain au centre de l’affaire

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
«Libération» a pu assister, jeudi 8 février, à un échange d’une centaine de prisonniers à la frontière russo-ukrainienne et recueillir leurs témoignages. Une première pour un média européen.
Un soldat ukrainien dans le bus après sa libération, jeudi 8 février. (Sasha Maslov/Libération)
publié le 11 février 2024 à 20h54

Les échanges de prisonniers de guerre obéissent tous à la même scénographie. Nuit noire ou premières lueurs du jour. No man’s land ou pont entre deux frontières, l’idée est de trouver un endroit neutre, un entre-deux apte à conforter chaque camp dans sa certitude qu’il est maître de la situation. Uniformes de prisonniers mêlés aux uniformes de soldats et officiers. Colonne de véhicules avançant au pas, il ne s’agirait pas de ruiner, par un coup de frein ou d’accélération intempestif, les efforts de plusieurs jours voire semaines ou mois. Tension maximale, on pourrait entendre un flocon de neige ou une goutte de pluie se poser sur le sol. Et pourtant, chacun de ces échanges est unique. Car l’humain est au centre de l’affaire. On sent presque physiquement la peur, l’excitation, la joie, l’appréhension, la douleur suinter de ces hommes hagards qui s’apprêtent à retrouver la liberté, ou presque, après des jours de privation, d’enfermement et parfois de torture.

Le récit que nous publions d’un échange de prisonniers à la frontière entre Russie et Ukraine est incroyable car ces opérations ne se déroulent jamais sous les yeux des journalistes. Nos envoyés spéciaux ont eu la chance inouïe d’y assister et de parler avec certains détenus. Il y a cet Ukrainien d’Avdiivka qui apprend que sa ville est devenue un champ de ruines, cet autre qui n’a plus personne à appeler, ses proches vivant sous occupation russe dans le Donbass et plusieurs d’entre eux étant morts, ce troisième qui a écrit en captivité un poème, Berceuse pour un ours, s’inspirant de la tragédie du théâtre de Marioupol où plusieurs centaines de civils sont morts sous les bombes russes en 2022. Et puis il y a ces Russes, qui savent qu’à peine rentrés chez eux ils seront renvoyés à la guerre, certains ont déjà été échangés deux ou trois fois. Les Ukrainiens leur expliquent qu’ils peuvent les garder prisonniers s’ils préfèrent. En gros c’est la prison ou la guerre et sans doute la mort. Pour eux, il n’y a pas d’entre deux possible.