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Libération
L'édito de Lauren Provost

Vente du Doliprane par Sanofi : du business, pas de la santé

Menaces sur l’emploi, inquiétudes sur la souveraineté sanitaire, soumission aux logiques du marché… La cession partielle d’Opella, fabricant d’un des principaux médicaments vendus en France, à un fonds de pension américain, va à l’encontre des engagements d’Emmanuel Macron.
La place du Doliprane dans notre quotidien fait qu’il est très difficile de comprendre pourquoi Sanofi souhaite s'en séparer. (Sebastien Salom-Gomis/Sipa)
publié le 14 octobre 2024 à 20h58

Demandez à un médecin ce qu’il pense du tollé autour de la vente du Doliprane par Sanofi au fonds d’investissement américain CD & R, il vous répondra : ça n’est pas de la médecine, c’est du business. Il sera difficile de lui donner tort quand bien même cette cession réveille plutôt chez les Français les angoisses de pénurie de petites boîtes jaunes, et surtout de sa version infantile avec sa pipette et son goût de fraise. Les deux sont devenus des objets de convoitise depuis la crise Covid et tout particulièrement lors de l’hiver 2022-2023 quand le pays a dû faire face à une triple épidémie de grippe, Covid et bronchiolite.

La place du Doliprane dans notre quotidien et de son composant chimique, le paracétamol, fait qu’il est très difficile de comprendre pourquoi Sanofi souhaite se séparer de son activité Santé Grand Public, Opella. Les Français en sont les plus gros consommateurs d’Europe, avec le Danemark, et préfèrent le paracétamol à tous les autres antidouleurs. En 2022, Sanofi fabriquait et livrait plus de 424 millions de boîtes de Doliprane en France et ça n’était pas assez. Nous en gobons comme des bonbons, mais cela ne fait pas du Doliprane le comprimé préféré des industriels pour autant. A 2,18 euros la boîte, contre plusieurs centaines pour les médicaments dits innovants, la marge est trop faible pour le géant pharmaceutique. Son médicament vedette, le Dupixent, utilisé entre autres en cas d’asthme sévère, est commercialisé 1 282,74 euros pour deux seringues. A lui seul, il a représenté 10,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023. Quand toute la branche Santé Grand Public de Sanofi représente (seulement) cinq milliards d’euros.

Du business, pas de la santé. Voilà pourquoi la crise politique qui accompagne cette vente est si violente. Emmanuel Macron qui s’est fortement engagé sur le sujet dès juin 2020 et à nouveau en 2023, a beau assurer que l’Etat peut «garantir» la protection de l’approvisionnement de l’Hexagone, les Français constatent déjà son incapacité à peser face aux laboratoires, à extraire la santé des Français des logiques de marché. Sans parler des emplois en jeu dans les usines de Lisieux et Compiègne. Il va en falloir du Doliprane pour faire passer l’énorme gueule de bois qui arrive.