Un procès pour l’histoire, certes – mais laquelle ? Bien après la lecture du verdict du procès des viols de Mazan, des heures en fait après que les peines ont été prononcées, les flashs d’infos envoyés, une grande partie des accusés embarqués, on semblait toujours attendre quelque chose d’autre qui émergerait du palais de justice d’Avignon, quelque chose qui ressemblerait à une conclusion cohérente, à une fin digne de ce film d’horreur insoutenable, à une morale facile à expliquer comme on en trouve à la fin des contes pour enfants. Le tribunal a préféré s’en tenir à son rôle : juger. Les accusés ont tous été déclarés coupables, la quasi totalité pour des viols sur la personne de Gisèle Pelicot, avec les circonstances aggravantes d’avoir été commis en réunion et avec administration de substance. Aucun acquittement. Ce verdict est la preuve que la Justice peut évoluer dans le bon sens, de la première découverte des gendarmes au réquisitoire de l’avocate générale dans l’affaire de Mazan, même s’il faut rappeler que 94 % des plaintes pour viol sont classées sans suite. Il valide aussi le choix de Gisèle Pelicot de se placer au centre de ce procès pour y affronter ses agresseurs, alors que la cour avait décidé dans un premier temps de ne diffuser les vidéos des viols qu’à huis clos.
Récit
Le verdict est aussi l’affirmation que chaque crime est jugé individuellement, rappelant l’importance de l’individualisation des peines même pour des violeurs. Ainsi, Dominique Pelicot a été condamné à la peine maximale de 20 ans de réclusion criminelle, reconnu coupable d’avoir sédaté son épouse pour la violer et la faire violer par des dizaines d’hommes et avoir filmé, catégorisé et annoté ces scènes, pendant une décennie. Mais pour 49 accusés reconnus coupables de «viols» (deux autres ont été condamnés pour «agressions sexuelles»), la cour a prononcé des sentences bien plus indulgentes que celles requises, y compris des peines de 3 ans de prison. Beaucoup pointent déjà des incohérences, mais cette individualisation est la base du droit pénal et reflète probablement une prudence qui peut décourager toute velléité de faire appel. La cour a pu adapter les peines en fonction des perspectives de réinsertion des personnes. Ou même considérer leur rapport à Dominique Pelicot, ou leurs parcours individuels, souvent marqué au fer rouge par l’inceste. Pouvait-on espérer qu’il en soit autrement ? «Toutes les souffrances ne peuvent pas trouver une traduction en termes juridiques», avait averti l’avocate générale. On en a maintenant la preuve, et on attendra donc toujours quelque chose d’autre, à Avignon comme partout ailleurs.