Bien avant «le diktat de Bruxelles» ou «Brexit veut dire Brexit», le 29 mai 2005, c’était il y a vingt ans, les Français rejetaient le traité constitutionnel européen (TCE) qui leur était soumis par référendum. Ce jour-là, 54,7 % des électeurs avaient choisi le «non», alors que beaucoup croyaient encore au «oui». Une image qui s’était imposée dans la campagne, popularisée par Philippe de Villiers et autres souverainistes et nationalistes, a largement contribué à cette victoire surprise du non : celle du «plombier polonais», cet ouvrier migratoire qui se passerait quasiment de salaire pour voler le pain des bons Français. Triomphante en France, la métaphore allait avoir un succès grandissant dans d’autres pays, en particulier au Royaume-Uni.
Si l’argument était simpliste, voire trompeur, sa réussite tenait à sa capacité de concentrer le débat sur le fonds du projet européen, fracassant au passage l’invulnérabilité des deux grands partis. La gauche en particulier s’écharpera pendant des années : le traité proposé était-il l’abolition du nationalisme ranci du Vieux Continent, ou au contraire la sacralisation du libéralisme débridé de son avenir ?
Depuis, bien des plombiers polonais sont revenus dans leur pays, désormais bon élève de l’économie européenne, et la fracture à gauche a changé de place. Notre enquête revient sur ce moment clé de l’histoire politique française, revisitant au passage les débats violents qu’il suscita au cœur même de la rédaction de Libération. Si la gauche française a abandonné aujourd’hui la rhétorique contre Bruxelles, c’est essentiellement grâce à un texte de 2018 garantissant aux travailleurs détachés une rémunération égale à celle de leurs collègues en France, et la même convention collective. Mais des constantes sont toujours là, comme le routier bulgare ou les débats animés à Libé.