Menu
Libération
L'édito d'Alexandra Schwartzbrod

Violences sexuelles sur le tournage de «Romance» : en 1999, la notion de consentement n’était pas un sujet

Violences sexuellesdossier
Au moment de la sortie du film «Romance», la parole d’une jeune actrice ne pouvait faire le poids face à une personnalité comme celle de Catherine Breillat. A la violence sexuelle subie sur le tournage s’ést ajoutée celle de l’invisibilisation.
L'actrice Caroline Ducey, à Paris, le 27 août 2024. (Cyril Zannettacci/VU' pour Libération)
publié le 29 août 2024 à 21h00

A toutes celles et ceux qui considèrent le monde d’aujourd’hui comme terriblement normé et ennuyeux, se repaissant du «c’était mieux avant» qui aigrit et abêtit, la réalité que nous révélons ici du tournage de Romance, le film de Catherine Breillat sorti en salles il y a vingt-cinq ans, a de quoi remettre les idées en place. 1999, c’était hier. Et pourtant ce qui a alors fasciné la plupart des critiques de cinéma, Libé compris, ne pourrait plus être regardé et chroniqué de la même façon. Encore moins tourné de la même façon. Et c’est un remarquable progrès. Car, en 1999, le consentement n’était pas un sujet. On pouvait faire subir à une comédienne des violences sexuelles au nom de la beauté de la vérité brute. En profitant de l’effet de surprise pour produire des images censées impressionner par leur réalisme.

C’est ce qui est arrivé à Caroline Ducey, qui n’avait que 21 ans à l’époque du tournage de Romance, et n’était pas assez connue pour que sa parole pèse d’un quelconque poids, ce qui explique notamment qu’elle n’ait pas porté plainte. Une situation qui rappelle le tournage du Dernier Tango à Paris au cours duquel la jeune Maria Schneider a été abusée par Marlon Brando, face caméra, avec la bénédiction du réalisateur, Bernardo Bertolucci. Un tournage dont la comédienne ne se remettra jamais, sombrant dans la drogue, comme Caroline Ducey le fera quelques décennies plus tard. C’est que celle-ci a subi deux violences : sexuelles sur le plateau, sociale après le tournage en étant invisibilisée au profit de Rocco Siffredi, l’acteur porno qui occupait toute la place sur la photo.

Le réalisateur ou la réalisatrice a longtemps eu tous les droits du moment qu’il s’agissait d’art. Catherine Breillat, qui affirme que «tout était écrit dans le scénario», a expliqué s’être inspirée du film l’Empire des sens de Nagisa Oshima, considéré comme sulfureux, voire émancipateur. Dans la Prédation, titre de son livre-témoignage, Caroline Ducey conclut par ces mots : «J’écris […] pour qu’ils et elles cessent enfin, sous les louanges des critiques, de maquiller ces bas instincts en raffinements exquis, sublimés par une transgression sophistiquée de la morale.»