Le pari fait par Vladimir Poutine d’effrayer la communauté internationale avec le spectre de l’arme nucléaire, et de ressouder le pays en conspuant l’Occident et en mobilisant les réservistes, n’est pour l’heure pas gagné. Depuis mercredi et son discours d’un autre âge, les plaques tectoniques ne cessent de bouger. Elles ne provoquent pas encore de fractures franches mais on sent qu’il suffirait de peu de choses pour que la terre tremble. Et que le président russe soit délaissé par nombre de ceux qui, jusqu’à présent, le soutenaient ou observaient une prudente neutralité, les fameux «non-alignés» interpellés par Emmanuel Macron à la tribune de l’ONU mardi soir. Le retournement opéré par le président turc est ainsi révélateur. Recep Tayyip Erdogan, qui était parvenu jusqu’à cette semaine à tenir la délicate position de celui qui est assis entre deux chaises, semble avoir choisi le côté qui lui serait le plus confortable. «Une invasion ne peut être justifiée», «personne ne sera gagnant au final», «la façon dont les choses se déroulent actuellement est assez problématique», voici quelques-unes des petites phrases distillées dans une interview accordée lundi à une chaîne américaine, avant même que Poutine ne monte d’un cran dans ses menaces. Et il n’est pas le seul à adresser au locataire du Kremlin ce qui s’apparente à un baiser de la mort. Le président chinois et le Premier ministre indien semblent être à deux doigts de prendre de la distance vis-à-vis de Poutine, bien conscients que ce dernier a franchi une frontière de trop, à tous les sens du terme.
Mais c’est du territoire russe, surtout, que montent la stupeur, l’incompréhension et beaucoup de colère. Partout, dans le moindre village, la moindre usine, des hommes sont réquisitionnés quels que soient leur âge, leur situation familiale, leurs compétences. Pour une guerre qu’ils ne comprennent pas. Et qui devient soudain bien réelle. Résultat, certains se cassent un membre pour éviter de partir, d’autres se ruent aux frontières. Ce n’est pas encore une révolte. Mais ce pourrait être le début d’une révolution.