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Entretien

Eric Sadin : «Face à l’ouragan des IA génératives, il nous reste deux ou trois ans pour agir»

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Alors que plus de 700 scientifiques et entrepreneurs de la tech appellent ce mercredi à l’arrêt du développement d’une «superintelligence artificielle», le philosophe décrit dans un essai percutant le tournant anthropologique des technologies auxquelles nous déléguons nos facultés intellectuelles et créatives, leurs conséquences sur le travail et les moyens dont nous disposons encore pour les réguler.

A l’heure où des systèmes prennent en charge nos facultés les plus fondamentales, quel sera, au juste, notre rôle sur Terre ? (Jonathan Blezard/Libération)
ParMatthieu Écoiffier
Rédacteur en chef adjoint - Idées
Jean-Christophe Féraud
Journaliste - Economie
Publié le 13/10/2025 à 17h50

Penseur de la déraison numérique depuis une dizaine d’années, Eric Sadin publie le Désert de nous-mêmes aux éditions l’Echappée, après plusieurs essais remarqués comme la Silicolonisation du monde (2016) ou la Vie spectrale (Grasset, 2023). Cette fois, le philosophe, vu par les uns comme un prophète de malheur et par les autres comme un lanceur d’alerte extralucide, livre une puissante critique de l’avènement de l’intelligence artificielle, qu’il avait initiée avec l’Intelligence artificielle ou l’Enjeu du siècle (l’Echappée, 2018).

Il voit dans les IA génératives un tournant anthropologique majeur, et très inquiétant, de la condition humaine : pour la première fois dans l’histoire du monde, des systèmes apprenants s’appuyant sur de gigantesques bases de données formulent massivement du langage, de la connaissance et des images, et sont en mesure de nous remplacer dans une multitude de métiers, à commencer par ceux de l’éducation.

Ce qui pose une question vertigineuse : que va-t-il rester à l’humanité quand les assistés numériques que nous sommes délégueront totalement l’apprentissage, la création et la formation du savoir à des machines ? Ce «tournant intellectuel et créatif» de l’IA est-il déjà hors de contrôle ? C’est ce que redoutent ce mercredi 22 octobre plus de 700 scientifiques, dont plusieurs pères de l’IA moderne (Geoffrey Hinton, prix Nobel de physique en 2024, Stuart Russell professeur d’informatique à l’Université de Californie