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Libération
Série «Ce qui nous lie et nous délie» (4/4)

Et si on apprenait à écouter la nature ? Par Jérôme Sueur

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La biodiversitédossier
Au petit matin, dans la forêt guyanaise, se mélangent stridulations tintinnabulantes, coassements élastiques et chants harmoniques, comme le vit l’éco-acousticien Jérôme Sueur, passé maître dans l’art d’écouter le vivant. Une expérience à faire aussi près de chez soi pour apprendre à mieux protéger la vie des autres.
«Le son est un médium de ­reconnexion avec le vivant. Mais, soyons clairs, il n’est pas nécessaire pour cela d’aller en forêt tropicale.» (Clairéjo)
par Jérôme Sueur, Enseignant-chercheur au Muséum national d’histoire naturelle, spécialiste d'éco-acoustique, auteur du livre «Histoire naturelle du silence» (Actes Sud, 2023)
publié le 28 décembre 2023 à 8h11

SERIE «Ce qui nous lie et nous délie» (4/4)

L’enfer ? C’est les autres ! L’amour et la liberté en famille ? A l’heure des fêtes, des repas houleux ou bienheureux nous rappellent combien certaines attaches nous nourrissent quand d’autres nous emprisonnent. Distance à réinventer constamment avec ses proches, hospitalité avec l’étranger, partage des écrans en famille, contact avec la nature… Pour négocier cette période au mieux jusqu’au nouvel an, «Libération» explore la complexité de ces liens qui nous émancipent et nous aident à changer le monde.

Il est 4 h 15 du matin sous le sombre chapeau ourlé de la grande forêt guyanaise. La nuit est encore là, dense et collante, épaissie par un rideau d’humidité que traversent les halos de nos lampes frontales endormies. On ne parle pas, ce serait déchirant. On se suit, chacun encore dans ses pensées nocturnes, marchant sur le layon étroit et glissant qui mène discrètement à une petite crique bordée de plantes ruisselantes.

Il est 5 h 15, et bientôt commence le spectacle. Nous sommes deux, et c’est bien suffisant. A être trop nombreux, on se gêne. Lui compose pour bandes et orchestre symphonique, moi, je décompose pour graphiques et tests statistiques. Ensemble, sans bien se connaître encore, nous écoutons et nous enregistrons le temps d’un adagio la vie sonore de la forêt amazonienne. Il s’appelle Sébastien Gaxie, et nous travaillons à un projet art et sciences autour des craquements végétaux et des sifflements animaux de la réserve naturelle des Nouragues.

Ce matin-là, chaud et humide comme tous les autres, nous captons pendant deux heures le réveil de la forêt avec une fragile sphère de 32 petits microphones prêtée par l’Institut de recherche et coordination acoustique-musique (Ircam). Assis sur un tronc drapé d’une couverture de champignons blancs, nous enregistrons pour créer en studio et analyser en laboratoire mais aussi pour uniquement écou