Avons-nous vraiment conscience de ce qui arrive aujourd’hui aux femmes et aux filles en Afghanistan ? C’est tellement impensable, inimaginable que nous peinons à nous le représenter.
Depuis le retour des talibans au pouvoir en août 2021, de nouvelles lois, directives, déclarations viennent, systématiquement, jour après jour, persécuter les Afghanes, les exclure du monde, les isoler, les asphyxier, anéantir leurs droits les plus fondamentaux et jusqu’au droit à la vie. Pourquoi tant de haine ?
Aujourd’hui, les Afghanes sont emmurées vivantes dans les maisons. Les fenêtres des pièces où elles se tiennent doivent être condamnées pour qu’on ne puisse pas les apercevoir de l’extérieur. Elles ne peuvent sortir qu’en cas de «nécessité», uniquement avec un «tuteur» et dans un vêtement qui les invisibilise.
Dehors, elles n’ont pas le droit d’entrer dans les parcs. Tous les salons de beauté ont été fermés. Les hammams et les salles de sport leur sont interdits. Elles n’ont plus le droit de chanter, de lire de la poésie, ni même de parler en public et doivent porter un masque sur la bouche. Leur voix est interdite.
Mois après mois, elles ont été interdites d’éducation à partir de 12 ans, exclues des universités. Puis elles ont été privées de tout emploi et réduites à la misère. Les ONG internationales et les agences de l’ONU sont sommées de se séparer d’elles. Elles ne pourront bientôt plus recevoir de soins puisque les femmes, seules autorisées à leur en dispenser, ne peuvent plus travailler ni recevoir de formation. L’Afghanistan est déjà l’un des pays les plus meurtriers au monde pour les femmes qui accouchent. Toutes les deux heures une Afghane meurt en donnant la vie. En 2022, elles étaient plus de 40 % à accoucher seules chez elles (1).
Des hommes qui détiennent sur elles le pouvoir de vie et de mort
Les filles et les femmes afghanes, souvent mariées de force, sont devenues des esclaves, à la merci des hommes de leur famille qui détiennent désormais sur elles pouvoir de vie et de mort. Elles n’ont plus aucun recours juridique en cas de violence. «Nous flagellerons les femmes […] et les lapiderons», a annoncé en avril 2024 à la radio d’Etat le chef suprême taliban prétendument à propos des femmes adultères. Déjà nombre d’entre elles ont été torturées et exécutées en public. Elles sont 57 à avoir ainsi perdu la vie entre octobre 2022 et octobre 2023.
Nombreuses à résister avec un courage et une détermination inouïs, au risque d’être emprisonnées et torturées ou de disparaître, leurs forces s’épuisent. Elles sont gagnées par la terreur et le désespoir – 78 % des femmes déclarent être en mauvaise santé mentale. Beaucoup ne trouvent d’autre issue que le suicide qui devient épidémique (2).
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Bientôt, au rythme où vont les choses, quelques-unes seulement resteront en vie pour mettre au monde les fils des talibans.
Une telle situation est inédite dans l’histoire de l’humanité !
Même si partout dans le monde les femmes subissent des violences et des privations de liberté, «nulle part ailleurs les droits des femmes et des filles n’ont fait l’objet d’une attaque aussi généralisée, systématique et globale qu’en Afghanistan», a dit la présidente du groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles de l’ONU qui évoque un apartheid sexiste, une persécution fondée sur le sexe, autant de crimes contre l’humanité, selon le statut de la Cour pénale internationale.
C’est, en réalité, un massacre de masse qui est programmé contre les femmes afghanes, les unes après les autres, dans l’espace privé comme dans l’espace public, une extermination lente, un «gynocide», selon le terme forgé par Antoinette Fouque (1936-2014), psychanalyste et figure majeure du combat des femmes. Et le monde détourne les yeux.
Les efforts de la communauté internationale, d’ONG internationales, des voix de la société civile sont si insuffisants qu’ils n’ont jusqu’à présent eu aucun effet. Les talibans utilisent le désintérêt général pour le sujet pour poursuivre leur projet funeste contre toute la population et continuer à anéantir les femmes.
Et il ne faut pas croire que ce pays est loin, hors du monde, que son système ne nous menace pas, quand sur tous les continents déferle une haine guerrière et intolérante à tout autre, et que les droits des femmes sont partout attaqués. Et il serait vain de penser comme le font certains que sacrifier les Afghanes pourrait permettre de protéger nos pays du terrorisme des talibans et de leurs semblables. Au contraire, ils s’en trouvent renforcés et d’autres acteurs politiques ou groupes armés dans le monde en font déjà leur modèle.
Redonner leurs voix aux Afghanes
Notre responsabilité humaine est engagée.
Nous devons assistance à peuple en danger.
Le premier geste est de prendre conscience de l’immensité des crimes en cours, de ne pas laisser le silence et l’indifférence les recouvrir, de redonner leur voix aux Afghanes.
Elles doivent retrouver leurs droits, se voir confier l’aide humanitaire internationale pour qu’elles la redistribuent.
Déjà la Cour de justice de l’Union européenne vient de reconnaître aux femmes et aux filles afghanes le droit à un statut de réfugiée sur la base de leur sexe. Il faut désormais leur permettre de rejoindre en toute sécurité le territoire européen.
Le procureur de la Cour pénale internationale a demandé début janvier des mandats d’arrêt contre le chef suprême et le président de la Cour suprême des talibans. Ces demandes doivent être acceptées par la Cour. Tous les chefs talibans doivent être poursuivis devant la justice internationale, les sanctions à leur encontre accentuées, tous leurs biens à l’étranger confisqués. Des enquêtes doivent être menées dans le pays.
Solidarité avec les filles et les femmes afghanes !
(1) Le Monde, du 30 janvier 2025
(2) Courrier international, du 3 octobre 2023
Parmi les premiers signataires : Hamida Aman Journaliste afghane, fondatrice de Radio Begum Ariane Ascaride Actrice Hanna Assouline Présidente des Guerrières de la paix et du Forum des femmes pour la paix Boris Cyrulnik Directeur d’enseignement, neuropsychiatre, écrivain Alicia Dujovne-Ortiz Ecrivaine Frédéric Encel Géopolitologue Aurélie Filippetti Ancienne ministre, directrice des affaires culturelles à la ville de Paris Michel Hazanavicius Réalisateur, scénariste, producteur Nonna Mayer Chercheuse Danielle Michel-Chiche Ecrivaine, journaliste Ariane Mnouchkine Metteuse en scène de théâtre, créatrice du Théâtre du Soleil Véronique Nahum-Grappe Anthropologue Michelle Perrot Historienne Chloé Ridel Députée européenne Laurence Rossignol Ancienne ministre des Droits des femmes, sénatrice Henry Rousso Historien Fabienne Servan-Schreiber Productrice de films Inna Shevchenko Cofondatrice du mouvement Femen, journaliste, autrice Brigitte Stora Essayiste Irène Théry Sociologue Najat Vallaud-Belkacem Ancienne ministre et présidente de France terre d’asile Cécile des Abbayes Ingénieure Michèle Abitbol Lasry Guerrières de la paix Sabrina Azoulay Productrice, militante féministe pour la paix Claudie Bassi-Lederman Présidente d’association Annette Becker Historienne Brigitte Bétis-Viguié Psychanalyste Serge Blisko Membre honoraire du Parlement Pascal Bonitzer Réalisateur, scénariste, écrivain Ken Bugul Ecrivaine Alain Bourges Vidéaste et écrivain Marianne Bouvaist Enseignante Rolande Brastain Citoyenne Sylvaine Bulle Sociologue Philippe Chamek Syndicaliste et membre du Réseau d’action contre l’antisémitisme et tous les racismes (Raar) Chantal Chawaf Ecrivaine Christine Clerc Journaliste, écrivain Martine Chêne Militante des droits des femmes, Michèle Colin Magistrate honoraire Sarah Constantin Activiste Femen Renata Cortinovis Ancienne secrétaire générale de musées Dimitri Coty Ingénieur engagé Virginie Cresci Journaliste Liliane Daligand Professeure émerite des universités, présidente de Viffil SOS Femmes Sandrine David Directrice action culturelle Yolande Davidas Consultante en communication Ursula del Aguila Docteure en philosophie Catherine Denoun Avocate Sabine Devieilhe Cantatrice Minila D’Souza Pâtissière Gilles Dowek Informaticien, logicien Sophie Duchesne Politiste, chercheuse au CNRS Charlotte Dudkiewicz-Sibony Psychanalyste Cécile Duflot Directrice générale d’Oxfam France Jean-Guy Dufour Ingénieur civil des Ponts et chaussées retraité Anja Durovic Politiste, université Paris-Saclay Marine Elgrichi Militante féministe pour la paix Maïa Fansten Sociologue, scénariste et producteur Jacques Fansten Réalisateur, scénariste et producteur Gisèle Feuerlich Militante des droits des femmes Gaby Freze Militante des droits des femmes Pascale Froment Journaliste, écrivaine Jeanne Galili-Lafon Animatrice de cercles d’écriture Brigitte Grésy Ancienne présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes Marie Guerini Militante féministe, Journées du matrimoine Farida Gueroult Militante féministe pour la paix Sylvie-Anne Goldberg Historienne, Ghada Hatem Gynécologue, fondatrice de la maison des femmes du CH de Saint-Denis Robert Hirsch Historien Esther Hoffenberg Réalisatrice et productrice de films David Hury Ecrivain Macha Idels-Coty Psychologue clinicienne Paula Jacques Ecrivaine Stéphanie Janicot Ecrivaine Alex Jaunait Politiste Irmeli Jung Photographe Joseph Kastersztein Psychosociologue Nina Kehayan Ecrivaine, traductrice Sacha Kleinberg Militant associatif et politique Benoîte Lardy Adjointe au maire de Paris Centr, Sandra Laugier Philosophe David Lescot Auteur, metteur en scène Shoranne Liévaux Entrepreneure Marie-France Llauro Docteure ès-sciences physiques Alain Maillot Avocat Régine Maillot Citoyenne Yaëlle Malpertu Maîtresse de conférences UPJV, Psychologue Elie Martin-Charrière Musicien Jacqueline Merville Ecrivaine Janine Mossuz-Lavau Politologue, Cévipov Eric Mugnier Consultant Laurent Mugnier Directeur de recherches Ilan Mugnier Diplômé de LSE économie politique Sacha Mugnier Ingénieur Romane Mugnier Interne en médecine Florent Murer Président de Kalyna France Gérard Ostermann Médecin, psychothérapeute Solène Pereda Pianiste concertiste Guy Perrin Astronome, membre de l’Institut Raphaël Pichon Chef d’orchestre Noémie Piolat Doctorante en sciences politiques Carole Pourchez Sociologue prospectiviste Mikhael Poznanski Professeur d’histoire-géographie Christophe Quillien Journaliste Patricia Rodriguez-Saravia Ecrivaine Ariana Saens-Espinoza Editrice Manuela Santos Femmes et démocratie Jocelyne Sauvard Ecrivaine, journaliste Anne Schneider Universitaire en langue et littérature françaises Régine Sellier Pédiatre Daniel Sibony Psychanalyste, écrivain Eric Slaviac Musicien, chanteur Sonia Terrab Réalisatrice Caroline Trotot Professeure des universités, littérature française Fadela Vaillant Etudiante Catherine Vieu-Charier Ancienne adjointe à la mairie de Paris, chargée de la mémoire Chiara Villa Directrice de théâtre Dominique Voynet Ancienne ministre, députée Nathalie Vu Hong Citoyenne et ingénieure de recherche Peter Wintz Professeur de français.