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Conflit

Gaza : la rabbine Delphine Horvilleur sort du silence pour dénoncer la «faillite morale d’Israël»

Conflit israélo-palestiniendossier
Dans un texte publié sur le site Tenoua, l‘écrivaine reconnaît s’être tue trop longtemps sur les responsabilités de l’Etat hébreu dans «la tragédie endurée par les Gazaouis». Elle appelle à un «sursaut de conscience».
Delphine Horvilleur, à Paris, en 2023. (Laura Stevens/Libération)
publié le 9 mai 2025 à 15h05

Est-ce un tournant ? Delphine Horvilleur, rabbine, écrivaine, philosophe, avait l’habitude de rendre les coups face à la flambée des discours et des actes de haine contre les Juifs depuis le 7 octobre 2023, que l’agression du rabbin d‘Orléans, en mars, venait une nouvelle fois illustrer. Au lendemain des meurtres du Hamas en Israël, elle s’était dite «terrassée» par le silence et le manque d’empathie témoignés à l’égard des Juifs.

Un peu plus de quatre mois après l’attaque terroriste, elle publiait Comment ça va pas ? Conversation après le 7 Octobre (Grasset) où elle revisitait son héritage culturel pour tenter de faire face au traumatisme. Parce qu’elle est une personnalité influente du débat public et intellectuel, une voix du judaïsme libéral en France, une femme de gauche qui défend l’universalisme et l’égalité, ses prises de parole comptent.

Dans un court texte publié ce jeudi sur le site Tenoua, consacré à la pensée juive et dont elle est la directrice de rédaction, Delphine Horvilleur sort du silence. «Toute autocritique menace l’union sacrée, se fait traîtrise ou, pire, carburant pour un ennemi qui cherche à nous détruire», écrit-elle dans un billet intitulé «Gaza/Israël : Aimer (vraiment) son prochain, ne plus se taire».

Elle confesse : «Moi-même, j’ai ressenti souvent cette injonction au silence. J’ai parfois bâillonné ma parole pour éviter qu’elle ne nourrisse les immondices de ceux qui me menacent, ceux qui diabolisent et déshumanisent un peuple, et s’imaginent aider ainsi un autre. J’ai censuré mes mots face à ceux qui trouvent des excuses à une déferlante antisémite “ici” au nom d‘une justice absente “là‐bas”.»

«Une déroute politique et une faillite morale»

Et si elle ne se taisait pas, l’autrice déplorait surtout ces derniers mois le retour d’un langage antisémite, notamment au sein d’une partie de la gauche politique qui embrasse la cause palestinienne, mais a parfois été accusée de relativiser les actes commis par le Hamas. Récemment, Delphine Horvilleur avait même été au cœur d’une passe d’armes avec Blanche Gardin, qu’elle a comparée à Dieudonné dans une vidéo au sujet d’un sketch de l’humoriste l’été dernier, lors d’une soirée de mobilisation en faveur du cessez-le-feu à Gaza.

Dans son texte sur Tenoua, l’écrivaine poursuit : «Je me suis tue mais, aujourd’hui, il me semble urgent de reprendre la parole. Je veux parler, au nom de “l’amour du prochain” ou plutôt de ce que ce verset biblique (si mal traduit) en dit vraiment.» Soit un amour qui n’est pas «inconditionnel» ou «aveugle», mais qui implique «d‘ouvrir les yeux d‘un proche sur ses fautes» et tend «dans sa direction un miroir pour qu’il s’observe». Et c’est justement «par amour d‘Israël», dit-elle, qu’elle parle aujourd’hui. «Par la douleur de le voir s’égarer dans une déroute politique et une faillite morale. Par la tragédie endurée par les Gazaouis, et le traumatisme de toute une région.»

«On n’apaise aucune douleur en affamant des innocents»

Alors que le cabinet de la sécurité israélien a annoncé la semaine dernière que Tsahal allait élargir son offensive dans la bande de Gaza et que celle-ci prévoyait «l’émigration volontaire» de ses habitants, déclenchant la colère des familles des otages aux mains du Hamas, la philosophe rappelle que l’amour d‘Israël «n’est pas celui d‘une promesse messianique, d‘un cadastre de propriétaire ou d‘une sanctification de la terre». Mais qu’il est «un rêve de survie pour un peuple que personne n’a su ou voulu protéger», ainsi que «le refus absolu de l’annihilation d‘un autre peuple pour le réaliser».

Défendre Israël consiste, appelle-t-elle, «à un sursaut de conscience», «à soutenir ceux qui refusent toute politique suprémaciste et raciste qui trahit violemment» son histoire, «ceux qui ouvrent leurs yeux et leurs cœurs à la souffrance terrible des enfants de Gaza», «ceux qui savent que seuls le retour des otages et la fin des combats sauveront l’âme de cette nation», «ceux qui savent que, sans avenir pour le peuple palestinien, il n’y en a aucun pour le peuple israélien», «ceux qui savent qu’on n’apaise aucune douleur, et qu’on ne venge aucun mort, en affamant des innocents ou en condamnant des enfants».