La rencontre a lieu à Dakar, où une cérémonie de funérailles a arraché Ibrahima Thioub à la quiétude de son village de pêcheurs, et à son cher jardin gorgé d’agrumes. La thématique convenue avec lui est un fil rouge de ses publications d’historien sur les marginaux, les prisons ou encore l’esclavage : comment le dominé accepte-t-il la domination ?
Des travaux qui ont propulsé ce spécialiste d’histoire moderne et contemporaine des XVe au XXe siècles dans des groupes de recherches internationaux, lui valant aussi d’être professeur invité d’universités aux Etats-unis, en Europe, en Asie. Le Collège de France a même tenté de le soustraire une année à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. En vain.
«Je suis très bavard», prévient le septuagénaire, voix souriante, contact chaleureux. Et, en effet, plus d’une heure s’est écoulée dans ce bureau de l’ex-campus franco-sénégalais aussi sobre que son caftan marron, et Ibrahima Thioub débobine toujours le fil d’une autre pelote.
Il s’épanche sur l’injustice sociale qui mine l’Ecole de la République. A la fois navré, révolté, voire nostalgique : «Je ne serais pas devenu professeur des universités si l’Ecole publique n’avait pas été un ascenseur social. Ce qu’elle a cessé d’être aujourd’hui.»
Son coup de gueule contre un système «hyperperverti» s’enchevêtre au récit de sa trajectoire d’étudiant d’extraction «très modeste». Fils de paysan né en 1955, Ibrahima Thioub est l’un des deux uniques bacheliers de sa grand