L’auteur lui-même avoue en avoir été un peu surpris : avec déjà plus de 20 000 exemplaires vendus, le dernier essai de l’historien Johann Chapoutot, sur les «récits du temps», ceux qui ont façonné notre vision de l’histoire, a su séduire un large public. L’époque actuelle, plutôt confuse, se prête bien, il est vrai, à l’attrait pour ces grilles de lecture. Spécialiste de l’histoire culturelle du nazisme et de celle de l’Allemagne, chroniqueur à Libération, l’auteur nous offre ainsi avec le Grand Récit (PUF, 2021) un panorama passionnant, sans être exhaustif, sur la façon dont l’humanité, et plus particulièrement l’Occident, a pensé sa place et son destin sur le fil fragile du temps.
Car la particularité de l’espèce humaine, la seule consciente de «l’effrayante certitude de la mort», rappelle Chapoutot en citant Schopenhauer, est bien de chercher à s’ancrer dans un récit qui justifierait cette existence, par définition éphémère. Reprenant le concept développé par l’écrivaine américaine Nancy Huston, l’historien évoque la particularité de cette «espèce fabulatrice», la seule à percevoir son existence «comme une trajectoire dotée de sens», qui «se distingue du sens animal» en se construisant «à partir de récits, d’histoires, de fictions», comme l’expliquait déjà