C’était en février dernier. Sur l’antenne de CNews, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche déclenchait le début d’une interminable polémique en déclarant que l’«islamo-gauchisme gangrène la société et que l’université n’est pas imperméable». Elle annonçait diligenter une enquête au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) afin de faire un bilan de l’ensemble des recherches et distinguer «ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion». Tollé immédiat dans la communauté de chercheurs. Dans la foulée, le CNRS avait condamné avec fermeté l’initiative de la ministre, se fendant d’un communiqué dans lequel il rappelait que «l’islamo-gauchisme n’est pas une réalité scientifique».
Or, qu’apprend-on quatre mois plus tard ? Que Frédérique Vidal refuse toujours d’indiquer où en est son fameux projet, révèle le Monde, qui parle d’un «silence complet» chez l’entourage de la ministre. Cette dernière n’assumerait-elle plus ses propos ? Ce n’est pas tout puisque six enseignants-chercheurs ont décidé de l’attaquer pour abus de pouvoir. Le 13 avril, une procédure de référé et un recours en annulation ont été introduits devant le Conseil d’Etat par les avocats William Bourdon et Vincent Brengarth. Il est demandé à Frédérique Vidal de renoncer à cette enquête «qui bafoue les libertés académiques et menace de soumettre à un contrôle politique, au-delà des seules sciences sociales, la recherche dans son ensemble».
La première procédure a été rejetée par le Conseil d’Etat, le 7 mai. En revanche, la requête en annulation a bien été transmise au ministère pour l’interroger sur ses déclarations. «La ministre de l’Enseignement supérieur dispose désormais de deux mois pour démontrer que sa décision ne constitue pas un détournement des pouvoirs et des attributions qui lui sont confiés», ont expliqué William Bourdon et Vincent Brengarth au quotidien. Si le projet est bel et bien dans les limbes, si aucune commission d’enquête n’a été mise en place, «cela voudrait dire qu’on gouverne à coups de propos comminatoires et de menaces et ce n’est pas tolérable», souligne Fabien Jobard, l’un des requérants, chercheur au CNRS.
Les déclarations de la ministre avaient ému l’ensemble de la communauté universitaire. Une pétition réclamant sa démission et rassemblant plus de 23 000 signatures avait été portée à Matignon. Derrière l’accusation d’«islamo-gauchisme» à l’encontre des facs, une antienne de la droite abondamment portée par les réseaux d’extrême droite sur Internet et qui insinue une forme de complicité intellectuelle de certains travaux en sciences humaines et sociales avec la menace islamiste, le milieu universitaire craint une mise au pas des libertés académiques et l’instauration d’un climat d’intimidation. La pression est désormais sur les épaules de la ministre.