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Etats-Unis

«Je veux faire mon travail sans avoir peur d’être puni» : trois professeurs de l’université de Yale s’exilent au Canada

Fuyant l’acharnement de Donald Trump contre la liberté de la recherche, trois enseignants américains spécialistes du fascisme, Marci Shore, Timothy Snyder et Jason Stanley, se sont expatriés à Toronto, alarmés par la montée de «l’autoritarisme» aux Etats-Unis.
Capture d'écran du «New York Times». (The New York Times)
publié le 16 mai 2025 à 9h40

C’est «un avertissement» et «un appel à l’action». Marci Shore, Timothy Snyder et Jason Stanley sont professeurs américains à l‘université de Yale (Connecticut), et tous trois des spécialistes reconnus de l‘histoire de l’autoritarisme et de la rhétorique fasciste. Dans une vidéo à la tonalité grave publiée sur le New York Times, ils expliquent s’exiler en raison du danger que Donald Trump et son administration font peser sur la démocratie aux Etats-Unis.

Depuis le retour au pouvoir du milliardaire, l’université et le milieu de la recherche sont des cibles privilégiées du chef de l’Etat, qu’il accuse d’être des bastions du «wokisme», d’idées propalestiniennes et de l’antisémitisme. Prenant aux mots le locataire de la Maison Blanche, qui a déclaré que les Américains n’avaient «encore rien vu», le trio d’universitaires raconte avoir trouvé refuge à l’université de Toronto, au Canada.

«Comme des passagers du Titanic»

«Je pars à l’université de Toronto car je veux faire mon travail sans avoir peur d’être puni pour mes mots», souligne Jason Stanley, professeur de philosophie. L’historienne Marci Shore, elle, établit un parallèle avec les années 1930 : «La leçon de 1933 est qu’il vaut mieux partir plus tôt que trop tard.» Plus loin, elle poursuit : «Nous sommes comme des passagers du Titanic qui disent que leur navire ne peut pas couler […] Et ce que vous savez en tant qu’historienne, c’est qu’il n’existe pas de navire insubmersible.» Son époux, Timothy Snyder, historien spécialiste de l’Europe centrale et de la Shoah, emboîte le pas pour soutenir sa femme, estimant que l‘université publique au Canada, pays où il vit déjà depuis quelques mois, est dorénavant un lieu plus propice au débat et à la liberté d’expression.

Les trois chercheurs convergent vers une même description de la situation politique de leur pays : chaque jour qui passe est une nouvelle marche vers «l’autoritarisme» et le «fascisme». «Il y a un mot en Russe qui aide à comprendre ce qui est en train de se passer aux Etats-Unis : «Proivzol», avance Marci Shore, soit l’idée que «le pouvoir peut faire ce qu’il veut et vous n’avez aucun recours». Autre mot inspiré de la langue russe et suggéré par la professeure : «Prodazhnost», qui signifie que «toute chose ou toute personne peut être achetée ou vendue», en référence aux propos de Donald Trump qui s’était dit «déterminé à acheter et à posséder Gaza». Et enfin l’expression «Dna ne suschestvuet», soit «il n’y a pas de fond», pas de limite à «la dépravation», «au sadisme» et «à la cruauté» à laquelle les Américains assistent quotidiennement.

Face à la volonté de Donald Trump de mettre au pas les institutions américaines, les trois universitaires invitent à se tourner vers les quelques modèles démocratiques qui ont su laisser passer l’orage et tentent désormais de se reconstruire. La Pologne, de nouveau gouvernée par une coalition allant du centre droit à la gauche, sous la houlette de l’ancien président du Conseil européen, Donald Tusk, après huit années de nationalisme autoritaire et de dérives illibérales remettant en cause l’état de droit, représente à leurs yeux un exemple de résistance. «La morale de la Pologne est que nos institutions démocratiques, les médias, les universités, les tribunaux, sont essentiels, affirme Jason Stanley. Vous savez que vous vivez dans une société fasciste quand vous vous repassez constamment en tête les raisons pour lesquelles vous êtes en sécurité.» Et de conclure : «Ce que nous voulons, c’est un pays où aucun de nous n’a ce sentiment.»